# Au fil des numéros


Fili 116 « Voies détournées » (Résistances – vol 3)

Voies détournées Ce N° 116 de Filigranes, qui termine la série Résistances et fait suite à Vent Debout et Lié Délié, nous propose d’emprunter les chemins creux, les ruelles de traverse, les voies sans issue. S’il est de notoriété publique que « le plus court chemin pour aller d’un point à un autre est la ligne droite », pouvons-nous affirmer que nos vies ont toujours suivi une route rectiligne ?  Nos existences, envers et contre tout, passent à travers des interstices, sortent des rails, telles des girouettes dans le tourbillon, prennent la tangente. Sur les chemins du oui, les chemins du non, personne ne nous empêchera de rêver au rire éblouissant de cet athlète dont on est tombée amoureuse pendant les jeux paralympiques. Marcher vers demain, où nous attendent, même avec nos corps blessés, abîmés et pourtant désirés, les forêts aux sources vives, les monts et les vallées, les sentiers qui grimpent et qui descendent… Nul chemin n’est droit, mais peut-être ne pas regarder en arrière. En dépit des guerres odieuses, des haines qui montent et de tous les maux qui accablent les humains et notre vieille terre si belle, entre éclats de voix et murmures, entre farces et drames, aller à l’essentiel. Repenser nos vies minuscules pour les écrire en MAJUSCULES. Avec constance, sur les sentiers de la paix, les chemins détournés, accepter de n’être qu’une femme, un homme pas si ordinaire, continuer avec ténacité à semer son petit grain […]


Fili 115 « Lié / délié » – (Résistances – vol 2 – 2024)

Lié, délié Edito Demain s’ancre au cœur d’aujourd’hui, comme une certitude que rien ne peut dessoucher, puisque je le dis, puisque je l’affirme, assène le poète 1. L’on s’autorise parfois la lassitude, du bout des lèvres : comment ne pas s’avouer que la tyrannie du passé et de notre temps nous accable ? Durant cet instant suspendu, aveuglés de réel, il nous arrive de fermer les yeux, de baisser les bras, de courber le dos… et pour l’arrondir encore mieux afin que glisse la vague du désespoir, nous nous campons sur nos deux jambes. Une fois encore, au moins, on lui a échappé, même si on reste silencieux et désenchantés, attendant le jour où nous reprendrons notre recherche : ensemble nous gratterons, creuserons, enfouirons une graine (est-ce elle, enfin ?) de laquelle s’exprimera notre indéracinable aspiration à la paix, celle d’un monde solidaire. D’autant plus vive que nourrie du heurt des jours. Sans plus de haine. Ainsi résistons-nous, cahin-caha, en dépit des épreuves. Les mots bleus, couleur d’orange ou arc-en-ciel, nous les portons aussi sans chichis comme bijoux ou chouchous. Tout simplement ils disent au quotidien notre présence au monde, ils nous disent reliés à nos rêves et à nos douleurs… qui chantent à nos boutonnières, tissés du fil qu’on abrite si soigneusement au creux de soi. Ne cherchez pas les héros, les éclats de rires et de larmes sont de simples touches de couleur sur fond de vertige. […]


Fili 114 « Vent debout » – (Résistances – vol 1 – 2024)

Vent debout   « Mais si dure ou héroïque que soit la résistance, elle se condamne à l’échec, si elle s’enferme dans une logique d’affrontement, sans développer aussi et surtout de nouveaux mondes, ici et maintenant »    Résister, c’est créer (Florence Aubenas, Miguel Benassayag)   L’insupportable – Tenir bon – Paroles à prendre De registre en registre, ici même s’expriment bien des refus. Les colères sont tantôt rouges, tantôt noires. Nombre d’émotions s’offrent à lire au cœur du premier numéro d’une série de trois dont l’objet est d’explorer le terme de RÉSISTANCE. Dans « Vent debout », bien des textes font écho à ce qui est émoi en nous, à ce qui brûle. Aux mille-et-un lieux où se niche l’inconcevable. Bien des choses nous affectent : en refus, nous écrivons ! Il arrive de certains évènements que nous en soyons les témoins directs. D’autres faits, quand ils sont plus lointains, souvent nous parviennent par nos médias. Chaque fois différentes questions surgissent. Qu’est-ce qui nous émeut : ce qui est proche, ce qui choque, ce qui surprend ? Mais aussi, contradictoirement, qu’est-ce qui tue l’émotion : le trop plein d’informations, la recherche du sensationnel, le tourniquet des « narratifs » qui de semaine en semaine balayent écrans et unes ? De ce terme de RÉSISTANCE, pourtant médiatiquement si facilement cuit et recuit, certains aspects nous semblent, par facilité, trop souvent négligés. Disons-les ici !  Résister, c’est créer du lien et se réunir en sororité et fraternité. C’est penser non l’unique, […]


N°113 « Dans la forêt des songes » (Végétal – vol 3 – 2023)

Éditorial Après les labours d’Humus, les souffles et les élans forts ou fragiles du Chêne et du Roseau, Filigranes achève son chemin végétal dans La Forêt des songes. Dans aucun numéro de ce triptyque les arbres et leur charge de vie, de sens, et d’énergie ne sont absents ; mais dans la futaie de textes de celui-ci, ils déploient tous les sens, sensualité, sensibilité, significations, assument bien des enjeux pour ceux qui, les regardant, les voient, et les aiment, s’irritent des misères que nos choix trop souvent leur infligent ; ceux qui, envers et contre tout, en nourrissent leurs sèves et leurs rêves d’humains au monde, y trouvent des lignes de vie, de force, et de création. Au fil des pages de ce numéro, la forêt nous hante, nous enchante, nous emmène, loin du réel cru des villes, sur les pas des conteurs, et nous croisons Alice, un petit poucet, un ogre, Merlin et Viviane, un banyan griot pour la liberté, et d’autres ; alors, nous ne craignons plus les sorcières ; dans un pli du temps, nez en l’air, on croise des  anges en peau de ciel et des ballons espions dégonflés par un rêve de berger. Et, portés par les cimes vertes et les bras orants des arbres, nous nous approchons parfois des morts aimés, ou du soleil. Dans Cursives, Luc Blaison, guide ONF entre autres casquettes, nous remet les pieds sur terre, à travers le soin qu’il lui importe de […]


N°112 « Le chêne et roseau » (Végétal vol 2 – 2023)

  Nous poursuivons ici le cycle « Végétal ».     L’eau et la terre entretiennent avec la pousse infinie de la vie des arbres des rapports d’amour/haine. Dans ce numéro 112 de Filigranes nous choisissons l’élégie et notre appréhension de la fable de La Fontaine réserve des surprises au lecteur. Celui-ci est appelé à s’identifier aux personnages que La Fontaine a campés pour illustrer un paradoxe : « C’est le plus fort qui est le plus fragile », opposant faiblesse et puissance dans un de ses dialogues ordinaires où il affronte la cour de Louis XIV. La logique serrée de la fable a peut-être éloigné les auteurs. Ont-ils préféré prendre des chemins de traverse plutôt qu’affronter le dénouement qui condamne le chêne à périr ? Ils deviennent ici spectateurs de la nature, se cachent dans les arbres, partagent la vieillesse et la finitude, s’émeuvent du destin qui attend le chêne malgré́ la majesté de son feuillage. Ils se cachent dans ses bras maternels, s’identifient au dieu totémique paternel. Survivent dans ce temps qu’ils espèrent immobile. Ils projettent dans l’écorce, dans les noyaux, dans les pépins, le renouvellement, la fertilité́, la revanche de la vie sur la mort. La sève peut donner l’encre, le calame et la plume l’outil.L’écriture se dessine, en ombre et lumière, dans la profusion de la forêt, et même sur les façades des villes. Plutôt qu’une opposition du plus fort au plus faible on a des épousailles. […]


N° 110 Qui tient l’appareil » (« Focales » Vol 3 – 2022)

    Qui tient l’appareil ? » (« Focales » vol.3) « Telles sont les deux voix de la photographie. À moi de choisir, de soumettre son spectacle au code civilisé des illusions parfaites, ou d’affronter en elle le réveil de l’intraitable réalité ». Roland Barthes, La chambre claire C’est bien d’une énigme dont il sera fait état dans ce numéro, le dernier de la série « Focales ». Dans les deux numéros passés nous avons interrogé par l’écriture le regard qu’entre champ et hors-champ, toutes échelles confondues, nous portons sur le monde. Aujourd’hui avec ce titre intriguant, c’est d’une série d’actes dont nous parlons, d’un faire que des sujets assument, ou non. Qu’est-ce que décider de « prendre », « agir », « capter » ? Qui s’y engage ? Qui en a la capacité et en ressent le désir, lequel parfois submerge ? Qui en craint l’intrinsèque violence ? Ainsi, au fil des textes de ce numéro, nous voilà projetés dans le mouvement du temps qui passe et que peut-être nous voudrions arrêter. Nous voilà pris dans le faire, fascinés par les modernes captations du réel, par les images, les films, les sites spécialisés. Invités au dire, au récit, à la narration, au motif d’une supposée puissance de ces médias. Oui, nous prenons, nous montrons et donnons à voir et revoir, y compris en nous en défendant parfois. C’est un travail de mémoire et de production de traces que les textes évoquent. Ils interrogent ce que nous voulons conserver. Ils […]


N°109 « Champ / hors champ » (Focales vol.2 -2021)

@28 35 Cursives @ 109Truxler v5 final 8:11 copie 2   Champ / Hors champ » Toute écriture, toute création est une découpe. Des sujets – vous, moi – décident de produire. Ils tirent du réel qui les environne matière et matériaux pour la création. Tous, dans l’enfance nous avons appris à voir, à regarder l’espace et parcourir le temps. Mais aujourd’hui, cela suffit-il ? Cette création nous identifiera, nous singularisera face à vous, lectrice, lecteur. Elle nous portera. Dans ce second numéro de « Focales », notre série 2021, nos yeux se dessillent pourtant. Par la bivalence du titre retenu, écrire et produire se donnent à lire comme acte souvent ambigu, tour à tour travail de prélèvement, de classement, de ponction et finalement de choix. « Nous ne façonnons jamais le monde […]. C’est le monde qui nous façonne » rappelle Toni Morrison (1). Nos yeux d’humains n’ont de cesse de questionner, d’instruire, de trier, de retenir ou pas, de cataloguer, de classer. Dans notre logique même d’assomption, nous élisons ceci, nous éliminons cela. Pouvons-nous y échapper ? Personne ne le sait. « Les yeux quand ils s’ouvrent découpent dans le réel comme un ordre du visible », disait en son temps le critique d’art Marc Le Bot (2). Il faisait référence aux Romains, lesquels distinguaient entre bien et mal, séparant dextre et sinistre. Mais foin des Anciens ! Dans le passage du champ à son hors-champ, la solitude guette et nous échappe parfois. L’anonyme […]


N°108 « À l’échelle » vol 1 – « Série Focales » 07/21

« À l’échelle » (Focales vol. 1)   « Les yeux, quand ils s’ouvrent, découpent dans le visible comme un ordre du réel » Marc Le Bot (1) Écrire, c’est regarder le monde et ses paysages, c’est ressentir des émotions, imaginer, anticiper, se souvenir, construire et déconstruire, chercher les mots. Écrire, c’est bâtir et, ce faisant, c’est penser. Sur ce constat s’ouvre une nouvelle série pour Filigranes, trois volumes consacrés au terme, polysémique s’il en est, de focales. Aussi, nous voici pour commencer à traiter d’échelles. Plus tard il sera question de champs et de hors-champs, enfin du sujet écrivant, lisant, produisant lequel « tient l’appareil ». o o o   L’écriture comme fabrique est un monde intermédiaire entre le réel et nous, dit Marco Martella 2. Mais ne s’agira-t-il dans ce présent moment de géométrie poétique que de balayer du regard la gamme de nos choix afin d’un peu mieux savoir ce qu’écrire signifie ? Non. Certes, cela nous interroge d’évoquer l’éventail, né souvent du hasard, de toutes ces échelles qui dans l’écriture nous poussent vers le ciel. Le désir nous habite d’identifier  celles qui subtilement nous attachent encore à la terre, qui nous cadrent aussi, voire nous enferment parfois. De comparer, texte à texte, nos manières de prélever des fragments d’histoire de nos vies et, comme au cinéma, les monter. S’ajoutera notre décision de voir le monde tel qu’il est ou feindre de ne pas voir. De comprendre comment à chaque fois, […]


Ukraine / Retour sur Filigranes 65 (2005)

    « Est – Ouest et retour » à Nathalie Ferrier, notre amie si jeune perdue « Rien ne disparaît de ce qui a dû être abandonné  » Henri Wallon Tout a commencé par un pressant défi de Nathalie Ferrier, en poste au Centre Culturel français de Moscou : ce serait bien si les liens déjà tissés entre Moscou et Marseille perduraient dans un autre numéro de Fili (1) ! Faisons mieux connaissance avec nos littératures respectives. Offrons-nous réciproquement des textes d’auteurs auxquels nous tenons, représentant pour nous ce que nous aurions envie de faire savoir aux autres. Et à partir de là, chacun pourrait choisir et écrire en écho, en écart, en voisin ou en étranger. Les textes seraient comme des miroirs où se mirer, se reconnaître autre ou pareil… Les « prétextes  » joueraient le rôle de tremplin, d’apport, d’horizon en trouvant leurs destinataires. Tout cela était bel et bon. Mais Nathalie, sans avis préalable, une mauvaise nuit de novembre, s’en est allée rejoindre les anges… Peut-être de là-bas veille-t-elle encore : le flambeau a été repris et les fils renoués grâce à l’engagement et à l’amicale ténacité de Carole Foullon, qui a tenu envers et contre tout à faire vivre le projet. Alors, elle a battu le rappel et nos lointains correspondants Oleg, Sacha, Olga, Inna, Micha, Sergueï, Irina et les autres – tous francophones et francophiles – se sont mis de la partie et ont envoyé leurs pages […]


FILIGRANES Évolue !

  Le monde des revues de poésie et de la littérature bouge. Nous-mêmes sommes en réorganisation de tâches au sein de notre collectif. Notre nouvelle adresse mail de contact est filigraneslarevue(arobase) laposte.net. Nos publications et leur rythme changent.   Que sera Filigranes en 2024 ? Nous publions deux numéros par an à présent. La collectif de production de transforme : nouvelle maquette, nouveaux cursives, nouvelles coopérations .   S’abonner FRANCE Normal (3 numéros) 30 € FRANCE Soutien (3 numéros) 46 € ÉTRANGER Normal (3 numéros) 33 € ÉTRANGER Soutien (3 numéros) 46 € BIBLIOTHÈQUES (2 numéros / un an) 25 € Chèque à FILIGRANES ou virement (Code IBAN FR87 2004 1010 0800 3312 4U02 929)  (Compte revue Banque postale). Commander d’anciens numéros « Le chêne et le roseau » (N°112) « Humus » (N°111) « Qui tient l’appareil » (N° 110) « Champ/hors champ » (N° 109) « À l’échelle » (N° 108) « Ça peut toujours servir » (N° 107) « Glanages » (N° 106) « Ça déborde » (N° 105) « Pas de danses » (N° 104) « Sur la corde raide » (N° 103) Le numéro + frais de port : 15 €   Écrire pour Filigranes Les prochains thèmes sont à découvrir sur le site de la revue. https://filigraneslarevue.fr Filigranes ne publie que des textes courts (4000 signes max.), en relation avec les thèmes annoncés. Nous écrire : filigraneslarevue(arobase)laposte.net om.neumayer(arobase)free.fr   Cordialement votre et en vous remerciant, lectrice et lecteur de votre soutien et votre désir de création partagée. Le collectif de la revue    


Serge Plagnol « La peinture, c’est une surface qui interroge la profondeur. »

  Une rencontre avec Serge Plagnol, né en 1951, vivant à Toulon, peintre et ancien professeur à l’école des Beaux-Arts de Nîmes. Il est venu au séminaire de mai2019 de Filigranes en apportant quelques toiles récentes. Après quelques questions comme entrée en matière, nous avons écrit à partir de ses tableaux puis poursuivi l’échange avec lui. Les oeuvres de Serge Plagnol ont été exposées dans différentes galeries et sont visibles sur FB et divers sites   Cursives 103 Serge Plagnol .        


N°102 – Emprunts, empreintes (Vol 1 – Les quat’ z’arts) – 04/2020

                                        ÉDITO Emprunts, empreintes, « aubes des images » ! Sur le double registre de l’emprunt et de l’empreinte s’ouvre ce numéro. La formule semble aller de soi et les termes qui la constituent, chacun pris en lui-même, ne pas vraiment poser question. Mais que cachez-vous homophonies, si séduisantes d’en être presque parfaites ? Une cohérence assurément : celle du maillage humain, de notre dette à autrui, de nos attachements, je crois. Toujours précédée d’œuvres de toutes sortes, lesquelles en sont le terreau, aucune création ne naît; C’est parce qu’on a aimé qu’on souhaite refaire, qu’on cherche la proximité, une manière de retrouvaille, un héritage que l’on se reconnait. Alors foin des accusations. Répétition ? Plagiat ? Non, jamais, car oui, nous créons sous influence. [Je] veut être un autre et il l’est ! [Je] décide de prendre, de transformer, de poursuivre. [Je] signe et, en mon for intérieur, [Je] sais ce que [Je] dois ! Mais copier, emprunter, ne serait-ce pas tricher ? Imiter, c’est créer, rétorque Picasso. Van Gogh pensait à Millet, Degas aux grand maîtres, Giotto à Cimabue (1) ! Tableaux, musiques, photos, carnets, leur présence à nos côtés nous est essentielle. Ce sont aussi citations, références savantes, allusions qui font signe, et encore objets en échos. Toutes et tous ouvrent des espaces. Vers d’autres scènes, ils nous portent. […]


N°98 « Rejouer le monde » – Vol. 3 – Dans le miroir des mythes

« Rejouer le monde » « Dans le miroir des mythes » vol 3 (2017)     « L’enfant avait placé une vaste caisse au milieu de la chambre et, depuis quelques heures déjà, il naviguait ainsi, brassant le vide, dévisageant l’horizon enfui dans le mur, le tapis figurant l’océan, la caisse un voilier de fort tonnage. Vers six heures, comme chaque soir à cette heure, le père rentra du travail. Il pénétra dans le salon, il eut le temps de désapprouver l’idée de son fils, il atteignit à cet instant le tapis, coula à pic et se noya. » Jacques Sternberg, Contes froids   Enfants déjà, nous inventions des mondes. Nous construisions des routes, nous soulevions les montagnes. « Tu serais la marchande, je serais le client ». Bien plus que des paroles, c’étaient des univers à explorer, un « mentir-vrai » de résistance (déjà !) au sérieux des parents. C’étaient nos affaires, motus et bouche cousue. Nous les savions éphémères et qu’importe. C’était sérieux car c’était du jeu. Plus tard, écoutant les poètes, comme toi lecteur, confiné dans la chambre, je m’en allais sur les routes et du rêve faisais mon chemin : Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! Là ! Là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées ! (1) Nous voici adultes à notre tour. Le temps nous taraude. La pluralité des mondes […]


N°70 Mondes industrieux (2008)

« Le fer se rouille faute de s’en servir, l’eau stagnante perd sa pureté et se glace par le froid. De même, l’inaction sape la vigueur de l’esprit. » Léonard de Vinci, Codique Atlantico. À première vue, pas de tension visible, pas de problématique apparente et forte dans cet intitulé. Mais écriture oblige ! Elle nous invite à plonger dans les détails, elle ouvre sur des descriptions d’organisations extraordinaires, sur des champs qui se croisent et s’étagent, sur des arrangements de plans qui nous échappent et elle laisse présager des abîmes de complexité. C’est sa force. C’est son risque. Sans nul doute, la création est le propre de l’homme, mais il ne le sait pas ! Une sorte d’oubli machinal l’a envahi. Pourtant, ces univers ne se sont pas faits tout seuls. Il a fallu les créer, siècle après siècle, jour après jour, heure après heure, au prix de quelle sueur grise ? Qui dira l’inventivité, les mille et un tours de main et savoir-faire recelés par l’adjectif « industrieux », si obsolète et précieux ? Comment et sous quelles formes signifier que, malgré les arts et le patrimoine accumulés, on souffre encore de non reconnaissance, on hésite entre corvée et fierté ? On en appelle à l’écriture ! Elle s’invente à l’usage, elle amène à penser. Même si le malentendu guette, le vécu mis en mots témoigne. C’est une gageure acceptée que de faire tenir en quelques lignes des mondes si vastes […]


N°68 « Galerie de contemporains » – 2007

La contemporanéité implique un être ensemble dans un maintenant qui bouleverse le temps ordinaire. L.C. www.reseaux-creation.org   Que se cache-t-il sous l’aspect lisse, vague et vaste de l’intitulé : « Galerie de contemporains » ? Ouvrir une galerie, c’est créer un lieu voué à l’observation, à la contemplation. S’agit-il de nous prendre à témoins, de nous rendre un peu plus sensibles à notre temps en accumulant sous nos yeux les preuves de sa diversité, en organisant la mise en scène de sa richesse, de ses douleurs, de ses courages ? Paradoxe que de vouloir forcer l’attention, attirer le regard sur ce qui est notre spectacle quotidien, tellement présent qu’il en devient invisible. Mais, 6 milliards et plus de contemporains ! C’est sûr, on oubliera du monde et nos limites en seront tracées. Pour une âme d’archiviste pointilleux et féru d’exhaustivité, toute galerie souffre d’absences, manque de couleurs. La contemporanéité a ses points aveugles. Une sorte d’archive sera malgré tout produite. Au fil des chroniques, transcriptions d’une réalité provisoire, se dessinent un début de cohérence, peut-être une volonté de signifier. Même un savant désordre peut prouver quelque chose, affirmer une vérité… Écriture de réalité et non de fiction. L’auteur se fait narrateur de ses semblables, il les choisit comme objets d’histoires, entre dans leurs préoccupations, dans les valeurs qui sous-tendent leurs actes ordinaires, dans leurs difficultés et petits plaisirs. Chacun transmet à sa manière, voit du dedans ou du dehors, tait sciemment, […]


« Intime VS extime » – 2007

Edito Ce qu’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire. Jacques Derrida 1930-2004 Nous pourrions rapidement nous accorder sur l’essence de l’intime : le plus brûlant, le plus secret dans l’être, à peine connu de lui, uniquement privé. Mais pour ce qui est de l’extime ?   Michel Tournier nous a offert le néologisme en qualifiant ainsi son journal1.  Chaque auteur fait la part entre ce qui ne se dit ni ne se montre et ce qu’il proposera au vu et au su de tous. Le texte est un coup de force sur l’intime, un aveu qui se voile de mots et qui a trouvé sa forme, son genre. L’écriture tient du choix et de la décision : obscurité ou transparence, on ne dira pas tout car tout n’est pas dicible, mais on se dira. Qu’il s’agisse de solitude, de rêves, de regrets, de l’enfance et de ses peurs, mais aussi de la voix et du silence, du mystère de la mort, de la prière, de la joie… Toute littérature n’est-elle pas marquée au vif par cette part de soi – normes et vérité assumées – que l’auteur engage dans ses écrits, consciemment ou à son insu ? Façonnée par cette relation ambiguë nouée avec son lecteur ? Intime versus extime : sait-on lequel engendre l’autre ? Ruban de Möbius ou bouteille de Klein. Sait-on ce que l’écriture gagne à cette complémentarité ? […]


N°65 « Ludotextes » 2006

« Ludotextes » Vrai, le terme « ludotexte » n’existe pas, mais tout le monde comprend l’intention : interroger l’apparente gratuité de cette écriture, refuser l’esprit de sérieux, lui opposer le rire, la surprise, l’iconoclasme. À écriture créative, lecture légère ! Laissons prise au jeu ! De fatrasies en pirouettes, de fariboles en plaisantes plaisanteries, demandons à la langue de nous séduire, par ce qu’elle porte d’incongru, par ce qu’elle forge entre sèmes et sons, par ce qu’elle accepte de nouer. Ce fil à retordre, sens et contresens unis en colloque toujours singulier. Soyons à l’écoute de ses hasards, que cela sonne, que cela slame : voyelles en couleur, consonnes en tambour. Pour de rire peut-être, pour de bon toujours, dans le risque à chaque fois. Ne serait-il pas plus facile d’émouvoir ? Bref, il y a du plaisir à étirer la pâte tous azimuts. À s’en donner à coeur joie, à pousser la chose aux limites, parfois comme on pose sa dernière carte. Rire et faire rire, distraire, détourner, certes tout est dans la manière. Mais l’effet attendu sera-t-il au rendez-vous ? C’est le pari. Plus imprédictible que jamais, tout entier confié au hasard, à la rencontre d’un auteur avec ses lecteurs. Et s’il arrive que le texte grimace, s’il fait grincer les dents, ne serait-ce pas, en dernier ressort, en désespoir de cause ? Dans une approche toute pascalienne du divertissement ? Odette et Michel Neumayer Carnoux, le 12.11.06   Sommaire […]


« Est – Ouest et retour » – 2006

    Edito à Nathalie F.   « Rien ne disparaît de ce qui a dû être abandonné  » Henri Wallon   Tout a commencé par un pressant défi de Nathalie Ferrier, en poste au Centre Culturel français de Moscou : ce serait bien si les liens déjà tissés entre Moscou et Marseille perduraient dans un autre numéro de Fili (1) ! Faisons mieux connaissance avec nos littératures respectives. Offrons-nous réciproquement des textes d’auteurs auxquels nous tenons, représentant pour nous ce que nous aurions envie de faire savoir aux autres. Et à partir de là, chacun pourrait choisir et écrire en écho, en écart, en voisin ou en étranger. Les textes seraient comme des miroirs où se mirer, se reconnaître autre ou pareil… Les « prétextes  » joueraient le rôle de tremplin, d’apport, d’horizon en trouvant leurs destinataires. Tout cela était bel et bon. Mais Nathalie, sans avis préalable, une mauvaise nuit de novembre, s’en est allée rejoindre les anges… Peut-être de là-bas veille-t-elle encore : le flambeau a été repris et les fils renoués grâce à l’engagement et à l’amicale ténacité de Carole Foullon, qui a tenu envers et contre tout à faire vivre le projet. Alors, elle a battu le rappel et nos lointains correspondants Oleg, Sacha, Olga, Inna, Micha, Sergueï, Irina et les autres – tous francophones et francophiles – se sont mis de la partie et ont envoyé leurs pages de Dostoïevski, Gogol, Gorki, Maïakovski, Pouchkine, Oulitskaïa, […]


N°64 Une date forcément

Edito   « L’ange. C’est une statue moscovite aux pieds pris dans un nuage de pierre. L’ange demeure ange. » Nathalie Ferrier, Filigranes, N°63, nov. 2005.   Entre les dates et nous, quoi ? La mémoire, captée par cette borne précise et fiable, s’accroche mais le fil est ténu. Il est des événements qui vous prennent en traîtres et s’abattent dans votre vie sans que vous ayez vu le coup venir. Une date est-elle autre chose qu’un petit amas de chiffres, sorte de talisman, qui ouvre sur un temps hors du temps présent ? Peut-être, mais la date ordonne, range, assigne une place dans une succession. A peine évoquée, elle fait se lever des images, des fantômes et probablement des anges. Mais qui nous dira sa vérité vraie ? Cette nuit-là (celle du 26 au 27 novembre 2005), vous étiez chez des amis, ambiance joyeuse, loin, à 100 000 lieues de l’évidence et du désespoir. Notre volonté d’en faire des repères rend certaines dates rayonnantes quand d’autres se transmettent dans le secret du cœur, tirant force et vertu de leur discrétion même. Et puis, vous apprenez la funeste nouvelle. Pourquoi ? Chaque anniversaire les recharge d’émotion. Dates heureuses pour les uns, sombres pour les autres et néanmoins les mêmes qui nous laissent sans réponse, privés pour toujours. Des mondes s’appellent, se repoussent, se répondent, se différencient. La date fait lien. Consciente de ses enjeux, elle se gonfle de significations multiples, d’interprétations. Elle veut […]


N°63 « Découper le monde avec la langue »(2005)

Edito   « Voyons, d’où vient le verbe ? Et d’où viennent les langues ? De qui tiens-tu les mots dont tu fais tes harangues ? Écriture, Alphabet, d’où tout cela vient-il ? Répond. » V. Hugo, Dernière gerbe. Recueil publié en 1902. « Désir et mort sont deux des noms que nous donnons à l’innommable. » Marc Le Bot, Images, Magies, 1990.   Imaginons un monde vierge, encore innommé. Voilà que survient l’homme qui pose sur toutes choses un nom, voilà qu’il baptise à tout va. Babel aidant, le même objet héritera de plusieurs désignations qui l’établissent, le disposent en catégories, au risque de s’y perdre. Fruit ou légume ? Qui a décidé pour la tomate ? Qui dira la violence de toute nomination ? La langue tourne et retourne. Et voilà le fameux Verbe des commencements qui va se complexifiant, les discours ajoutés aux discours, les dictionnaires aux dictionnaires. Divine surprise : le monde s’énonce ! Je peux le faire exister, apparaître et disparaître à mon gré, avec délicatesse ou avec démesure. La langue tourne et retourne. Vivante, verte, maternelle, étrangère, mais tout amour… la langue ! Descriptions, récits, proses, romans, grandes scènes du II, poèmes – ô, le poème ! –… autant de manières de détailler pour saisir, inventer au besoin, maîtriser, subjuguer. Même les enfants s’amusent à feuilletonner ! Au début était la langue ? Toute histoire, fable, prophétie, passent par son primat. L’écriture est elle-même un fait de […]


N°62 « La vie au vif » – 2004

      Edito   « De la vie à la vie, quel chemin ! » Milosz Infinie et pourtant déjà brève, la vie au vif est un sourire, un paysage, le timbre d’une voix, une naissance peut-être… Alors une profondeur s’ouvre, aussitôt refermée. L’instant d’après se déroule comme pressenti ou redouté et nous restons saisis, transformés à notre insu, par ce grain de réalité reconnue dont nous appréhendons soudain pleinement le sens. Cet instant privilégié ne fera pas plus de trois pages dans la revue. La vie est à prendre bleue ou à point ! Comme une photo dont on ne verrait que le visible et les options du photographe. Si l’écriture donne à voir l’invisible, quels appareils parviendront à surprendre ces instantanés ? Quels choix d’écriture, apparents ou cachés, inventeront le vif ? Un vécu, même ardent, même violent ne produit pas à coup sûr l’intensité du texte. Une consigne serait : tenter de cerner la réalité au plus près et ensuite voir ce que l’on a fait pour s’en approcher, s’y attacher, comment on est entré dans le vif du sujet. Identifier le moment où l’on tourne autour du pot. Trouver la métaphore qui mettra du liant et donnera à comprendre l’improbable trajet reconstituant la scène perdue, la sensation, la pensée. Vivre puis raconter fidèlement, au risque d’arpenter du banal, de se laisser entraîner par les mots ou alors, inventer ce qu’on raconte, faire du récit une manière […]


N°61 D’autres chats à fouetter…

    D’autres chats à fouetter…   « Dans ma cervelle se promène, Ainsi qu’en son appartement, Un beau chat, fort doux et charmant […]. » Charles Baudelaire Fouetter un chat ? Pas facile ! Le félin se rebiffe. Il vous glisse entre les mains et vous laisse à votre animosité à moins que la tentative ne se solde par un coup de griffes magistral. Bien fait ! D’autres chats à fouetter… Mais s’agit-il bien ici de prendre l’expression au pied de la lettre ? Imaginons que nous nous intéressions à l’écriture et que la proposition d’écrire s’attire cette réponse brutale et peu amène. Autrement dit : « Je ne suis ni intéressé ni disponible, d’autres tâches m’appellent ». Voici donc l’écriture et le temps d’écrire lui-même repoussés, récusés, bannis avec un empressement et une violence qui surprennent. Tous les biais, tous les prétextes sont bons pour expliquer l’évitement. Comme si, mesurée à l’aune des choses vitales, l’activité en question ne valait pas la peine. Entre le futile et l’essentiel, est-ce l’alternative ? Quels arguments pourraient légitimer et autoriser la procrastination, joli mot pour remettre à demain. D’autres chats à fouetter… Cette fin de non recevoir, destinée à décourager, inciterait à briser là. Mais cherche-t-on sous les mots, se profile alors l’ombre d’un regret. Optimistes, nous supposerons que la rudesse de la réplique cache malgré tout un certain désir d’écrire, et paradoxe, ce refus même donne lieu à écriture. Les textes disent comment […]


N°60 Le don du texte

Le don suggère un au-delà à ce qui est donné : le lien, la confiance et non le calcul. Parce que nous avons appris à vivre dans l’ombre portée de textes fondateurs, nous savons d’intuition qu’un texte donné est secrètement accompagné d’un dit encore à dire, d’un plus qui engage l’avenir. Donner, recevoir, rendre. Mystérieuse triade ! Elle fait le quotidien des hommes et nous ne cessons d’interroger sa raison d’être. Depuis des millénaires, elle nous inscrit dans le commerce des autres. Elle initie et régule nos relations. Elle atteste de notre appartenance à un groupe, à une société, à une communauté. Les relations d’un auteur à une revue n’échappent pas à cette règle. Par ce fragment d’écrit détaché de lui et offert, l’auteur devient destinataire du travail du Collectif. Son texte trouve dans la revue un espace de vie, une problématique, un lectorat. Il s’enrichit d’un sens nouveau en se mesurant à l’aune des autres textes. Puis, par l’autonomie qu’il prend, une fois accepté, l’objet-texte laisse derrière lui le donneur comme le receveur. Il se libère de leur emprise. Il est en devenir : de nouvelles potentialités de lecture, d’intelligence, d’opacité peut-être, s’ouvrent à lui. Il vit sa vie de texte, il va, prodiguant le sens à tout venant. Lettres d’amour, mythes et récits, poèmes, témoignages, testaments, choses pensées, rêvées… Le texte, s’il dit la vie, ne peut s’y substituer. La violence, la douceur, la force des mots, […]


N° 103 – « Sur la corde raide » (Vol 2 – Les quat’ z’arts) 09/2019

                                              ÉDITO Si en ce début de siècle nouveau, la lecture semble devenue chose courante, l’écriture en revanche reste en retrait. Celles et ceux qui s’y adonnent sont certes nombreux mais aujourd’hui encore convenons qu’écrire (d’une autre manière que lire) nous sépare des autres. « Tu vas commencer le nouveau roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Écarte de toi tout autre pensée. Laisse le monde qui t’entoure s’estomper dans le vague. La porte, il vaut mieux la fermer ; de l’autre côté, la télévision est toujours allumée. Dis-le tout de suite aux autres : non je ne veux pas regarder la télévision (…) » écrivait en son temps Italo Calvino. La séparation que l’écriture provoque est complexe à cerner. Tout à la fois encensée, portée aux nues et mal vue, l’écriture perturbe l’ordre des choses. Oui, écrivant nous franchissons des lignes. Nous nous séparons à plus d’un titre : du commun, du temps présent, des sociabilités ordinaires. Ils n’aiment pas, nos proches, que nous nous abstrayions du présent, que nous nous vouions à quelque pratique obscure appelée « écrire », qu’à l’écoute de ce qui fait monde en nous, nous nous dérobions de leur regard, fuyant pour un temps le commun.Confiée à la nuit, aux carnets intimes, aux « amis » des réseaux sociaux, aux amants, l’écriture […]