La pédagogie est-elle une création ? – Un entretien avec Antoinette Battistelli


 

Filigranes propose dans ce Cursives  62 (2004)
un entretien avec Antoinette Battistelli,

professeur des écoles et maître formateur.

 

L’échange porte sur les liens entre démarche pédagogique  et démarche créatrice.
Antoinette Battistelli est plasticienne à ses heures, elle participe aux travaux du GFEN Provence, elle conçoit et anime avec ses pairs des ateliers de création, mais surtout elle invente pour ses élèves de Cours élémentaire (7/8 ans) et ses stagiaires de l’IUFM des situations d’apprentissage appuyées sur l’activité créatrice. L’entretien fait suite à une matinée passée en classe avec elle et ses élèves.

Créer, c’est accumuler et transformer

Filigranes : L’idée que nous avons en tête, c’est celle d’une comparaison possible entre la pédagogie comme acte de création et la création proprement dite, plastique notamment. C’est la première fois que nous abordons cette question dans Filigranes. Quels parallèles vois-tu ?
Antoinette Battistelli : Je me suis souvent interrogée sur les raisons pour lesquelles, à titre personnel, je crée si peu plastiquement et sur la place qu’occupe dans ma vie ce que je fais en classe avec mes élèves, que je considère comme des créations.
Un premier élément qui à mes yeux fait lien, c’est la notion de transformation. En création, on ne part pas de rien (je pense à Picasso allant voir les Inuits et les Africains avant de peindre ses portraits), en pédagogie non plus. Quand je lis telle ou telle séance dans le livre du maître, je me dépêche de la transformer, de la transposer, de faire des liens avec d’autres sujets ou d’autres matières à enseigner.
Filigranes : Quelle gestion du temps cela suppose-t-il ?
AB : Le temps de la création, c’est celui de l’urgence, mais il est précédé d’une lente maturation. Au départ, on ne sait pas où l’on va. On n’est pas toujours conscient. On y va parce que c’est sa manière à soi de s’exprimer. Pendant ce temps de gestation, on lit, on regarde des choses qui ne sont pas forcément en lien avec ce qu’on veut faire. Mais cela va forcément servir.
Filigranes : C’est l’expression de Philippe Mérieu : « la sédimentation obsessionnelle » !
AB : Oui, cette sédimentation, est une sorte d’automatisme. On fait des choses apparemment « sans y penser ». Prenons l’exemple d’un travail fait en classe à partir de Renoir, à l’occasion de la Fête des Mères. Il y a deux ans, avec ma mère, nous avons voulu trier des photos familiales. C’est en les triant que j’ai vu une photo, que j’ai mise en relation avec le tableau de Renoir : « La blanchisseuse ou Aline et Pierre ». Je me suis vue dans les bras de ma mère… Au cours de l’année scolaire qui a suivi, j’ai décidé que nous travaillerions en classe à partir de ce tableau qui donne à voir et saisir la tendresse. Et voilà, le travail de classe se met en route, et on va même plus loin : de la blanchisseuse, on déborde sur les progrès ménagers, une question qui est au programme d’histoire, et l’on va chercher ailleurs encore…

 

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La pédagogie est une création

 

Graphisme de Marc Lassere

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