Nous ouvrons notre cycle « végétal » avec un numéro « humus ».
Ce mot fleure bon les sous-bois humides, où les champignons poussent leurs têtes parmi les feuilles mortes en lente décomposition. Et c’est bien notre rapport à la terre nourricière que plusieurs textes viennent interroger : il s’agit, par l’écriture, de tisser des lie ns avec tous ces insectes, ces bactéries, ces micro-organismes qui ont transformé les roches en un sol nourrissant (1), accueillant aux graines et aux spores, il s’agit aussi de s’inquiéter des actions humaines qui mettent à mal ces processus complexes d’échange et de transformation.
Avec ce numéro, nous nous redécouvrons comme terriens, tirés du sol 2, et nourris par ce qui y pousse et que nous cueillons ou cultivons. Mais cette terre maternelle n’en demeure pas moins mystérieuse puisqu’elle est matière hors langage et qu’il faudra tout notre travail d’écriture pour la mettre en mots, la rapprocher de nous tout en préservant sa spécificité.
Certains apprennent à son école la patience de la germination, et, le regard posé sur le sol ou les herbes, s’émerveillent du dépliement des jeunes feuilles, de l’éclosion des plus humbles fleurs. D’autres, levant les yeux au ciel, se découvrent frères et sœurs des arbres.
De l’humus à l’humain, il n’y a qu’une syllabe d’écart, et cette plongée dans le sol, autant qu’elle nous confronte à notre mortalité, ravive la question de nos racines, de ces éléments fondateurs qui ont permis notre croissance et notre maturation.
Contemplant le végétal, nous consentons à la lenteur, et, alors que notre vie nous emporte vers une fin inéluctable, nous cherchons à entrer dans l’intelligence des cycles, des élans et des déclins qui se succèdent et recommencent. Peut-être y a-t-il en nous une Perséphone 3 qui s’ignore et voudrait quelques semaines par an pouvoir hiberner, se cacher dans les plis de la terre pour y reprendre des forces, se recentrer sur ce souffle irréductible qui nous anime notre vie durant et que nous laissons s’épuiser à tous les vents qui nous malmènent ?
Mais nos textes prennent aussi racine dans les langues, les poèmes et récits qui nous ont accompagnés depuis notre venue au monde. La terre, la langue, deux milieux nourriciers ; de les penser ensemble, la langue devient une ressource et une matrice d’où notre parole peut s’élancer, la terre se met à bruire de tous les mots et mythes qui cherchent à en dire tour à tour la puissance et la fragilité.
Et toi, lecteur, lectrice, va ton chemin, butine de texte en texte, laisse-toi prendre par les voix qui s’y répondent sous la mousse, par l’ombre et le soleil qui y jouent entre les feuilles, par les réponses balbutiées et les questions toujours ouvertes.
Michèle Monte
1 Marc-André Selosse, L’origine du monde, une histoire du sol à l’intention de ceux qui le piétinent (Actes sud, 2021).
2 Dans la Genèse, l’auteur rapproche le nom commun adam de adama, « la terre », comme si adam voulait dire « le terreux », mais en réalité, du point de vue linguistique, c’est adama qui vient de adam, l’adama est le lieu qu’habitent les adams.
3 Dans la mythologie grecque, Perséphone, fille de Déméter, la déesse des récoltes, est enlevée par Hadès, le dieu du monde souterrain, qui l’épouse, mais sa mère menace de faire périr toute la végétation si Perséphone ne lui est pas rendue. Zeus arbitre en disant que Perséphone passera quatre mois sous terre avec son époux et huit avec sa mère.
Sommaire
Michèle Monte, Éditorial 3
Pétris de terre
Chantal G. Blanc, Je voudrais être un arbre 5
Agnès Petit, Imprégnation 6
Anne Barbusse, Germination des mondes 8
Jeannine Anziani, Sans Hâte 10
Gislaine Ariey, Souviens-toi 12
Chantal Arakel, Entre deux rives 13
Charme(s)
Marie-Noëlle Hopital, Saule pleureur 14
Christine Ly, Nature Souterrienne 15
Sylvie Mellet, Crocus 16
Marie-Christiane Raygot, Terra nostra 18
Xavier Lainé, Plume trempée au sang de la terre
Cursives
Quarante ans ou presque d’une revue d’écritures
Un témoignage de Michel Neumayer 24
Lire Cursives en PDF
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Sites et liens 33
Ronde du temps
Olivier Blache, Dans la brume du matin 35
Laure-Anne Fillias-Bensussan, S.P.I.S. 36
Michel Neumayer, Partage des eaux 38
Arlette Anave, Lange drapeau 40
Annie Christau, Terre 43
Teresa Assude, Humbles brumes 44
Paul Fenoult, Noirceurs 45
Anne-Marie Suire, Emprunts 46
Jacqueline L’Hévéder, Morte saison 49 *
Michèle Monte, À l’insu 50
Georges Xuereb, Écrire à haute voix 52
Photos
Monique D’Amore 23, 42
Olivier Blache 22
Teresa Assude, couverture et 34
Odette Neumayer 48
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voici le texte intégral de Jacqueline L’HEVEDER