Un entretien à plusieurs voix
réalisé par Nicole Brachet rend compte des premiers temps de la fabrication.
Celle est aujourd’hui numérique.
Le travail rédactionnel reste en revanche depuis les débuts le même.
Fruit d’une élaboration collective, Filigranes passe par différentes phases de conception mais aussi de fabrication. Nous voudrions repérer, évoquer et analyser ces étapes qui mobilisent des compétences et des savoir-faire méritant d’être explicités. Ce Cursives, composé de textes et d’entretiens, revêt donc un caractère particulier, puisque la revue s’interroge sur elle-même à travers les témoignages de ceux qui la font exister.
Nicole Brachet
Vous ouvrez votre boite aux lettres, vous y trouvez une enveloppe kraft affranchie à 0,75€, qui pèse 98 g, avec une étiquette à votre nom et sur laquelle vous est rappelé que votre abonnement se termine avec le n°… Vous auriez bien envie de l’ouvrir immédiatement, mais plus probablement, vous allez devoir attendre, attendre un moment de tranquillité, une pause pour avoir le temps de vous attarder sur son contenu.
Son contenu ? Vous pouvez en avoir une idée, surtout si vous savez qu’un texte de vous est dans le numéro et qu’il vous tarde de le voir sous sa forme définitive. Il y a déjà longtemps que vous l’avez écrit, que vous l’avez envoyé, qu’il a été choisi lors du dernier séminaire auquel vous avez peut-être participé.
Et il y a les mots des autres, l’attendu et l’inattendu… Vous retrouvez des noms qui correspondent à des visages. Visages de ceux que vous côtoyez quand la revue est vivante et s’incarne dans des corps au travail, dans l’échange, moments d’écriture collective ou individuelle, lectures partagées, propositions, mais aussi repas pantagruéliques « tirés des sacs » comme il est dit sur l’invitation au séminaire, chaleur, soleil ou brume, confidences lors d’une pause…
Tantôt vous commencez par le sommaire, tantôt par l’éditorial. Vous préférez peut-être lire Cursives en premier ou alors vous plongez dans les textes au hasard. Et vous découvrez des auteurs nouveaux ou des « habitués », mais que vous n’avez jamais rencontrés. Les textes viennent parfois de loin, de très loin même. Il arrive qu’ils soient écrits dans une langue dite « étrangère ». Vous lisez tout d’une traite, ou vous grappillez et puis vous y revenez… Le fruit est tombé de l’arbre, il est là dans vos mains.
L’éclosion du thème
Nicole Brachet : Comment naît le thème d’un futur numéro de Filigranes ? Odette Neumayer : Le choix des thèmes est en lien avec un désir exprimé dans les séminaires ou dans le Collectif de la revue. Une première liste de thèmes s’élabore puis un groupe plus restreint prend les décisions fermes, planifie la mise en oeuvre et le suivi. Toute proposition est entendue, mise en relation avec telle ou telle proposition voisine, reformulée, complexifiée, du moins est-ce notre ambition.
La problématique et le choix du titre
N.B. : Un thème ou un problématique…
Michel Neumayer : La notion de thème comporte le danger de réduire l’écriture à la mise en mots d’une pensée qui préexisterait. L’expérience montre que le travail des mots nous conduit à penser autrement. Les mots résistent. Leur fréquentation ouvre des espaces inattendus, complique parfois les choses, rend la communication humaine plus incertaine mais tellement plus riche. Derrière chaque thème se tient, comme dérobée, une vraie question d’écriture… C’est le croisement des entrées qui nous importe et le lien entre ce que nous pensons et la langue avec et contre laquelle nous travaillons. Du coup, il arrive que nous soyons en porte-à-faux vis-à-vis de certaines de personnes qui, découvrant la revue sur le Web, nous envoient des textes sans connaître son projet. Que faire ? Etre éditeurs, c’est affirmer des points de vue, les nommer de manière explicite et trouver des formes de travail ad-hoc. Ceux qui fréquentent Filigranes, le découvrent peu à peu dans la façon dont s’élaborent les titres des numéros ou formulées les pistes. L’édito, le montage, la quatrième de couverture, invitent à réfléchir à « l’objet » que l’on tient en main. Pour ceux qui ne peuvent participer à ce travail collectif, cela reste parfois inapparent…
N.B. : Comment s’élaborent « les pistes » des futurs numéros, ces incitations à écrire lancées comme des bouteille à la mer ?
O.N. : Elles émanent du collectif et sont rassemblées quelquefois dans l’urgence au moment du bouclage du numéro. Les pistes ne cherchent pas à être forcément claires, limpides, ni exhaustives. Elles agiraient plutôt comme des consignes d’atelier réveillant non pas le devoir mais le désir d’écrire.
Modernité de Filigranes
N.B. : Y-a-t-il une modernité des thèmes ? Une actualité ?
O.N. : C’est une question d’éthique et non de forme. Sinon pourquoi créer ? Le face à face avec les mots conduit à penser autrement la relation à l’autre, aux autres pour « vivre voisins sur une même terre » comme disait Aragon. Notre modernité consisterait peut-être à vouloir penser le lien entre ces préoccupations contemporaines et des questions d’écriture.
M.N. : Cela passe aussi par la recherche de la diversité ; par la mise en tension des genres : l’exploration de toutes sortes de formes, SMS, blog, textes d’auteurs anonymes ou d’enfants. Par l’accent mis sur l’écriture comme travail en proposant dans chaque numéro d’entrer dans l’expérience d’un autre créateur. C’est la raison d’être des Cursives. Ils interrompent la succession des textes poétiques ou de fiction, introduisent de la réflexivité et du témoignage, détournent un moment le lecteur de son chemin et c’est voulu !
La réception des textes
O.N. : Il y a les textes nés pendant le séminaire ; d’autres sollicités par des amis, animateurs d’ateliers d’écriture. Il y a ceux qui nous arrivent par la poste, accompagnés d’un petit mot : « j’ai connu votre revue par telle personne, à telle occasion… » Et, de plus en plus, ceux qui parviennent par courriel de personnes qui sont allées sur http://www.ecriture-partagee.com et qui souvent ne connaissent pas la revue. Nous lisons leurs textes pour avoir une première impression et quand c’est possible, nous renvoyons un petit mot : remerciement et demande en cas de recueil, de ne retenir qu’un ou deux textes en ayant bien à l’esprit les pistes du numéro.
M.N. : Tous les textes, quelle que soit leur provenance, sont photocopiés, « pieu-sement » rangés dans une chemise portant le titre du numéro dans lequel ils sont susceptibles de paraître. Ils font l’objet de trois sauvegardes : sur papier, dans le logiciel de messagerie et dans un répertoire sous Word. Il arrive parfois qu’on en oublie, malgré tout. Certains envoient plusieurs versions, changeant un mot ou une disposition… et cela provoque des erreurs. Restent les quelques textes manuscrits qu’il faut saisir sur ordinateur. Tous ces textes sont numérotés. Une liste précise est faite avant le séminaire, photocopiée et distribuée.
L’étape du séminaire
N.B. : Quel rôle jouent les séminaires ? Comment sont-ils animés ?
O.N. : Un séminaire se déroule en général de la façon suivante : premier temps, la lecture du numéro précédent, qui a besoin d’être touché, commenté, critiqué, admiré… Il faut se rencontrer intellectuellement les uns les autres : cela passe par un échange sur nos lectures respectives, sur nos actions pour la revue (abonnements, participation à tel ou tel salon…) Vient ensuite un mini-atelier d’écriture en deux étapes : quelques consignes pour lancer la réflexion sur la problématique du numéro suivant puis un temps assez long d’écriture sans consigne.
N.B. : Se pose aussi la question des prochains Cursives…
M.N. : C’est une activité partagée qui passe l’identification de personnes acceptant d’être le sujet d’un Cursives puis le travail d’entretien et de retranscription. C’est passionnant pour qui s’intéresse au passage de l’oral à l’écrit : à l’oral il faut mettre la personne à l’aise afin qu’elle ait envie d’évoquer ses recherches, de dire son rapport à la création, de parler de ses projets. Puis il faut reprendre l’enregistrement et sa transcription, réduire le nombre de signes, décider, dans le jaillissement spontané de la parole, d’une cohérence susceptible de faciliter la lecture. Entre fidélité absolue et réécriture on navigue, on tergiverse parfois, on choisit comme on peut. Au moment de la parution, toutes les traces de ces mille et une micro-décisions disparaissent au bénéfice d’un texte précis et sans à coup. Magique, non ?
L’éthique du choix des textes
N.B. : Quelle place occupe la lecture et le choix des textes dans le séminaire ?
M.N. : Les personnes présentes au séminaire repèrent assez vite les textes qu’ils ont envie de publier. Cette capacité collective est remarquable mais elle ne suffit pas. Nous avons appris à éviter le jugement de valeur et les sempiternelles discussions sur la qualité. Dans une revue, les textes « se portent » mutuellement : des textes d’enfants ou de « débutants » interpellent, surprennent et sont finalement enrichis par les autres textes. Nous ne cherchons pas la perfection mais voulons donner à voir des processus. Filigranes est une revue d’écritures, au pluriel. Elle veut réunir des personnes, croiser les subjectivités, avec le travail de la langue comme horizon. C’est pourquoi nous ne publions pas de recueils, ni de numéros consacrés à une seule personne.
N.B. : La revue revendique donc le droit de choisir des textes qui ont de l’importance dans la vie d’une personne, et ne se fonde pas seulement sur des critères d’ordre littéraire ?
O.N. : Parfois, un texte doit « passer » pour des raisons intimes, très humaines, amicales. Nous avons aussi une attention particulière aux premiers textes et nous sollicitons les auteurs pour en publier un second, un troisième… On sait le poids qu’un texte peut avoir pour son auteur. Il nous arrive aussi, malheureusement, de passer à côté.
Après le séminaire
N.B. : Quelles sont les étapes après le séminaire ?
M.N. : Le passage de Word à Xpress, logiciel compatible avec le système Macintosh de l’imprimerie. Une première mise en page au format Filigranes. L’utilisation d’une feuille de style et le choix de la police Trébuchet MS, un caractère sans empattement, agréable à lire et discret. Au bout du compte nous avons une idée du nombre de pages à placer sachant que chaque numéro comporte 40 pages de textes et qu’il faudra peut-être faire des choix drastiques au montage. Nous procédons aussi à un début de correction orthographique et typographique car souvent les auteurs ne savent pas présenter leur texte, ou proposent des mises en pages sans se préoccuper des formats.
Les auteurs ne sont pas toujours sensibles à la position de leur texte sur la page, à sa longueur, à sa forme : carré, rectangulaire, centré, placé plutôt vers le haut ou le bas de la page… Or, une partie de la lisibilité d’un texte tient à sa mise en page. Un texte peut « faire peur », ne pas donner envie d’être lu. L’interlignage, la taille des marges, la police de caractère, le choix de « justifier » ou non, le compagnonnage des textes sont autant d’éléments qui ne sont pas que formels mais agissent sur le sens.
Dernière mise en page et éditorial
N.B. : Que se passe-t- il après la réunion de montage ?
O.N. : Une dernière relecture a lieu, tenant compte du travail des correcteurs lors du montage : correction fine portant sur les normes typographiques, les usages (majuscules, noms propres, etc.). Puis vient le classement des textes en trois ou quatre entités de sens, le bout à bout et la pagination, la saisie du sommaire et des dernières brèves de Cursives, enfin la gravure du CD qui part chez l’imprimeur.
N.B. : Avez vous une idée du temps passé à la fabrication du numéro après le travail collectif ?
M.N. : En gros une semaine de travail en continu pour la composition, la fabrication de l’éditorial et les derniers ajustements avant l’imprimeur.
N.B. : L’éditorial est le phare qui indique la route. En tant que lectrice, je n’imagine pas un numéro sans l’éditorial…
O.N. : L’éditorial tente, à partir des textes retenus, de créer une vision de la problématique du numéro et de créer le monde autour, mais il ouvre encore d’autres portes… Ni synthèse, ni résumé, il tient compte des textes mais aussi des discussions du séminaire et d’autres lectures. L’éditorial veut être « écrit ». Il est poétique et ne craint pas les images et les métaphores.
Chez l’imprimeur
N.B. : Depuis combien de temps imprimez-vous Filigranes ?
Josiane (maquettiste): Depuis au moins 1992,1993.
N.B. : Comment se présente un numéro de Filigranes, quand on vous l’apporte pour l’impression ?
J. : C’était folklorique avant ! Maintenant nous travaillons informati-quement. M. Neumayer fait les compos (Composition : Réalisation des textes en caractères typographiques et par extension, en photocomposition, en titrage). Je les récupère avec les épreuves papier, pour un double contrôle, on ne sait jamais. Parce que des fois, ils font des choses un petit peu bizarres, des découpages de textes…
Cela paraît étrange, donc je vérifie. Je fais le montage et ensuite je sors des films que mon mari récupère, il fait des plaques qu’on met sur la machine Offset (Procédé d’impression basé sur la répulsion de l’eau et de la graisse de l’encre. La plaque de zinc reporte l’image sur un blanchet, qui reporte l’encre sur le papier) et on imprime Filigranes.
N.B. : Plusieurs fois, Filigranes a changé d’aspect. Cela pose-t-il des problèmes ?
Robert (imprimeur) : Non, du moment que la compo est faite. J. : On s’adapte. Ils en discutent entre membres de la revue. On leur propose ce que l’on a, et ils choisissent.
R. : L’intérieur n’a jamais bougé : du Conqueror 80 grammes Velin.
N.B. : Et au niveau des graphismes ?
J. : Un jour, Mme Neumayer est venue, je me rappelle, avec des fils de fer qu’elle avait ramassés, il a fallu que je les scanne ! N.B. : Mais sous forme de fils de fer ? J. : Oui, il a fallu que je les scanne pour faire les illustrations (N°45 « Oblique espace de la passion ») ! R. : C’est souvent étrange, nous on le voit avec nos yeux, bien sûr… N.B. : Faites-vous d’autres revues similaires ?
R. : Non ! C’est la seule… (rires). On fait d’autres revues, pour les mairies… Une fois, on a fait un truc, pour les églises… J. : Oui, mais c’était pas de l’étrange… même s’il y avait aussi beaucoup de textes.
N.B. : Vous utilisez plusieurs encres ? R. : Oui, il y a une encre pour l’intérieur. Pour la couverture, c’est la même mais un peu plus allongée en rouge.
N.B. : La nouvelle présentation de Cursives, avec les bandes verticales, ne vous pose pas de problème ?
J. : Non, mais il faut bien calculer, quand on fait des bords perdus, c’est un peu plus compliqué.
N.B. : Et après l’impression ? J. : Une fois imprimée, il faut passer la revue au façonnier qui va couper, intercaler, coller, faire le dos carré-collé. C’est lui qui la termine. Un dos carré collé, ça demande une machine spéciale qu’on n’a pas et eux, c’est leur métier (Façonnage : Dernières opérations qui, par pliage, découpe, assemblage, encartage, piqûre, couture, reliure, etc., donnent aux imprimés leur forme définitive). N.B. : Combien de temps faut-il maintenant pour imprimer Filigranes ? J. : Je réenregistre le CD en format Photoshop, cela prend pas mal de temps.Je monte les pages huit par huit pour les films. On fait une sortie imprimante. Pour sortir chaque film, il faut cinq minutes. Le travail le plus long, c’est en pré-presse, il faut six heures et puis six heures en machine. Le façonnier, lui, en a pour trois ou quatre heures : deux heures de pliage, une demi-heure pour encarter… Pour notre part, on travaille en fractionné, parce qu’on a d’autres tâches simultanément. On essaie de respecter le calendrier, de se coordonner avec le façonnier.
Dans l’imprimerie elle-même
R : Voici le film d’une couverture et les pages intérieures. Il y a plusieurs pages sur le même film et elle ne se suivent pas dans la numérotation, cela se fait au montage et c’est remis en ordre au façonnage. On appelle ça la position.
N.B. : Quel âge ont ces machines ?
R. : Celle-ci ? 22 ans ! Ce sont des machines allemandes, increvables de marque Heidelberg. N.B. : Il n’y a pas d’électronique ?
R. : Non, c’est mécanique, avec des réglages, des vis… C’est plus costaud.
N.B. : Vous arrivez à allier un travail avec l’informatique et l’utilisation de ces machines ?
R. : ça part de l’ordinateur et ça va dans une flasheuse (Flashage : Travail qui consiste à réaliser des films ou bromures haute définition d’après une disquette informatique, à l’aide d’une photo-composeuse (PAO)) qui grave le film. On le développe, ce qui donne les transparents. Ces films passent sur l’insoleuse (Insolation : en photogravure, exposition à une source lumineuse d’un support photosensible à travers et au contact d’un film). On fait des plaques. Dans l’insoleuse, tout le texte apparaît, tout le reste s’en va. Puis, on révèle la plaque avec la développeuse et on la met sur la machine. On la pose sur le premier rouleau de la machine offset, elle s’encre par dessous. D’abord à l’endroit, ça se reporte à l’envers, sur un blanchet (En impression offset : feuille de caoutchouc placée sur le cylindre de transfert entre la plaque et le papier) et la feuille arrive, reprend l’encre du blanchet et ça revient à l’endroit.
C’est le principe de l’offset : à l’endroit, à l’envers, à l’endroit. Les feuilles sont prises par des pinces et sont aspirées dans le bac de réception. Quand il y a plusieurs couleurs, on repasse à chaque fois. R. : (montrant les casiers de caractères typo) : J’en ai la nostalgie, ligne à ligne, mot à mot, lettre à lettre, les caractères sont à l’envers…
N.B. : Ces machines, vous les entretenez vous-même ?
R. : Du mieux que je peux, pas autant que je le voudrais. Il faut les graisser, de temps en temps un technicien vient les régler, il y en a encore, mais on commence à avoir des problèmes. Mais elles tiennent bon !
Chez le façonnier
X. : Dans le processus de fabrication, la phase préliminaire, c’est la réception des documents imprimés. Tous les travaux rentrent dans le circuit : d’abord le massicot, qui nous permet d’égaliser les feuilles, de les ramener à un même format. On utilise le massicot en début de préparation et en phase de finition.
On place les documents sur table vibrante, appelée aussi taqueuse, qui ramène toutes les feuilles au même niveau, et on recoupe avec des taquets de contrôle. Ensuite, on arrive au pliage avec les machines à plieuse : on plie deux fois, trois, quatre fois, suivant le nombre de pages du cahier.
Après le pliage, les documents repartent dans la chaîne de fabrication : c’est la reliure. Ils passent sur une assembleuse avec plusieurs casiers pour chaque volume, une colleuse en ligne puis la pose de couverture. On doit déchiqueter le dos du volume, on fait du grecquage (Entaillage des pages d’un côté dos pour améliorer la répartition et la prise de la colle et pouvoir façonner sans couture ) pour que la colle pénètre bien dans le volume. Ce sont des colles thermofusibles à 180°.
Le dos du bouquin est enduit de colle, la couverture se positionne et est envoyée automatiquement dans la relieuse. Ces machines produisent six mille volumes à l’heure. Les volumes – une fois la colle refroidie – passent sur un massicot à trois lames spécialement adapté pour couper les trois faces du volume et supprimer les débords.
Ce sont des machines de fabrication suisse. Voilà notre travail.
L’envoi postal
M.N. : Les numéros réceptionnés sur une palette, il s’agit de les mettre sous pli. C’est le travail d’un jour environ. D’abord le tirage des étiquettes autocollantes, arpès vérification des enregistrements des derniers abonnements. Deux types d’étiquettes : les abonnements à jour, les fins d’abonnement qui reçoivent un petit mot manuscrit pour les inviter à reprendre. Puis le passage à la poste, l’achat des timbres (gymnastique infernale : il n’existe pas de timbre autocollant au tarif écopli inférieur à 100 g !) De savants calculs pour connaître le tarif exact pour les destinations lointaines… Mise sous pli, tri selon les destinations, et enfin, ouf ! Dans la boite aux lettres de grandes dimensions…
Ce Cursives tout entier laborieux
a été réalisé
par Nicole Brachet
avec le concours d’Odette et Michel Neumayer
Naissance d’un numéro
(Françoise Salamand-Parker)
Je suis un petit texte
Tout petit mais je tiens sur mes jambes
Je peux marcher
Je voudrais aller m’accrocher sur une page de Filigranes
Mais mon papa me dit que je ne suis pas prêt
Tous les jours il m’habille
Me déshabille
Me rhabille avec d’autres couleurs
Il me brosse les cheveux
Prêt pas prêt
Enfin ouah ! un beau jour
Il m’envoie
A Filigranes
Je saute dans la boîte aux lettres
J’attends le facteur
Qu’il me prenne et qu’il m’emmène
J’atterris sur une table
On me met dans un dossier bleu
Ouah !
On est vachement nombreux
Dans cette turne
Je me fais des tas de copains
Nous les textes on se comprend à demi-mot
Un jour quelqu’un me prend dans ses mains
Ouah !
Quelqu’un me lit
Je bombe le torse
Je fais le beau
Mon papa serait fier
L’aventure commence on dirait
Un regard me lit
Me pousse sur une table avec mes copains textes
On me prend on me pose
Tous ces yeux sur moi
Jamais
Dans mes rêves les plus fous…
Je n’aurais imaginé ça
On me met un numéro sur le dos
C’est une course de chevaux ?
Je demande aux copains
Non aujourd’hui ils te changent de pile
Il y a ceux qui connaissent ce processus
Parce qu’ils ont déjà été sur la table
Plusieurs fois
Il y en a qui sont en dixième semaine
Ouah ! super !
J’ai été choisi
On me ramène dans la maison des livres
Près de la cheminée
Dans un dossier bleu
Je ne sais pas trop ce qui va advenir de moi
On me déshabille encore
Je vais encore changer d’habit
Le papier recyclé que mon papa avait choisi
Je vais entrer en mémoire
Informatisé, les copains, qui l’eût cru ?
Moi qui ai été écrit avec un crayon de papier
Mon nouveau père s’énervait
Quand ma nouvelle mère lui expliquait
Comment changer mes chaussettes
Je devenais cybernétique les potes
Je suis ressorti tout neuf
Avec des blancs comme de longues inspirations
En haut et en bas
Ensuite j’ai repassé un examen
Mais cette fois-ci au milieu des bouteilles de vin
On m’a marié avec un texte que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam
Mais plutôt sympa
C’est vrai qu’on allait bien ensemble
Après que tous les mariages ont été faits
Et sanctifiés
Les gens autour de la table ont bu un dernier verre
Ca y est, le montage est fait (…)
C’est alors qu’on m’a emmené chez l’imprimeur
On m’a passé dans une nouvelle machine
Un peu comme à l’hôpital
De scanner en radio
Françoise Salamand-Parker