Éditions Chronique Sociale,
ISBN : 978-2-36717-571-3
https://chroniquesociale.com/
Michel Neumayer,
en coopération avec
Marianne Fontaine (Marseille), Pascale Lassablière (Belgique), Natalie Rasson.(Belgique)
Textes complémentaires :
Gislaine Ariey, Teresa Assude, Rachida Brahim,Soraya Guendouz-Arab, Michèle Monte
Préface de Noëlle de Smet (Bruxelles)
La matière de l’écriture
« Dans sa propre découverte, écrit Deleuze, Nietzsche a entrevu comme dans un rêve le moyen de fouler la terre, de l’effleurer,
de danser et de ramener à la surface ce qui restait des monstres du fond et des figures du ciel. »
Marie Bardet
Écrire à propos d’écriture ! La réalisation de ce livre consacré à la création en atelier ne semble guère, à première vue, s’être faite selon les recommandations que l’ouvrage lui-même propose à ses lecteurs et que, de page en page, il prétend argumenter. Point de listes de mots ici, pour commencer, nulle fresque au sol, ni production de fragments, aucun dispositif d’assemblage qui emprunterait, qui sait, à une autoroute, un immeuble, un « château des destins croisés » (Calvino).
L’ouvrage épouse plutôt – éditeur et collection obligent – la forme d’un livre de pédagogie et c’est parmi les pédagogues qu’il trouvera certainement ses premiers lecteurs. Mais, qu’on ne s’y trompe pas. Si de pédagogie, il y est question, c’est comme création qu’on l’évoquera. Si la création est le propos, c’est comme passage de culture, d’œuvres, de patrimoines humains qu’on en parlera.
Entre pédagogie et création, la matière de notre écriture, ce sont nos vies, leur mise en patrimoine puis leur transmission, mille et une manières de les contenir et les préserver du temps, dans la compagnie des mots. D’y apposer une humaine « signature humaine ».
Notre trésor, c’est la mémoire. C’est l’archive. Ce sont nos multiples dossiers, nos prises de notes, les productions que nous avons collectées au fil des années et des animations. Au cœur de tout cela se nichent tant d’interrogations encore que, par manque de disponibilité ou de force, nous n’avons pas encore su ou voulu remailler. Comment nous y atteler, avec quels outils, quels concepts ? Ce sera l’enjeu.
Étonnante encore, l’affirmation de Paul Valéry : « Le plus profond c’est la peau « . L’illusion serait de croire que pépites et cadeaux remontent des profondeurs lorsqu’on écrit. Rien de tout cela. Ce qui dessine à la surface de la page – quelques dispositifs pour l’écriture, de brusques « objets de savoir » – s’ils n’étaient rien d’autre que quelques pas de danse sur un écran, sur une feuille blanche. À l’unisson seulement de ce qui se trame plus bas, dans la profondeur des êtres. Sans ingérence, sans effraction.
Qui pourrait croire en effet que ce qui affleure soit l’exact reflet – le procès-verbal – de ce qui, il y a peu encore, se dérobait ? Et s’il s’agissait au contraire d’abord d’émergence, de rumination de pensées, de rêves en bulles, toutes en demande de lecture et de reconnaissance ?
Le destin des livres est de séjourner un temps sur les tables des librairies, de se ranger sur tel rayon plutôt que tel autre, de se soumettre aux diverses classifications, décimales ou non. Mais vient heureusement le moment où enfin ils s’installent chez le lecteur. C’est là, dans la capharnaüm des bibliothèques privées, qu’ils se feront peut-être de ces nouveaux amis que l’on garde cette fois-ci pour l’éternité (ou presque) : collègues de même taille, voisins alphabétiques, pièces d’un assemblage thématique… ou encore, rien de tout cela, car simples fruits du hasard.
Pour autant, tout livre garde la mémoire – même invisible – de celles et ceux qui l’ont accompagné dans le moment de sa gestation : ici quelques pages d’Aragon et de Perec, là la lecture de revues et éditions poétiques, mais encore appel d’Edouard Glissant à penser « Tout-Monde », les multiples interpellations des socio- et anthropologues, les philosophes et épistémologues comme forces de rappel, le récit des historiens, les ouvrages des amis porteurs d’Éducation nouvelle, les lectures de la presse, les photos prises et à prendre encore, les bricolages plastiques, l’écoute assidue d’archives radio, les consultations d’Internet.
Mais la pédagogie dans tout ce bric-à-brac ? Elle est partout, jamais injonction à « mieux » penser, mais projet et hommage pour lequel tout est nourriture, tout peut faire sens du grand potlatch des humains.
Ce livre s’inscrit dans la suite d’autres livres, s’illumine du contre-jour de visages, de voix et d’intelligences à présent disparus. Dans le vacillement de leur mémoire maintenue, il trace sa route, cherche encore une manière de vivre plus juste, plus digne et plus aimante. En partage avec toi, lecteur.
M.N.
Sommaire
Une utopie à la charnière de plusieurs mondes : croiser pédagogie, culture et création.
Les quatre parties du livre :
-
-
-
- Une logique d’écriture partagée
- Autour de quelques mobiles à écrire
- Les labos
-
-
Chapitre 1 – Le socle (1) Héritiers d’une histoire / Des contradictions économiques, sociales, culturelles, identitaires pèsent sur les pratiques de création / L’humain à dé-chiffrer / Une marchandisation tyrannique / Ancien VS moderne, des fractures obsolètes / Des postures anciennes qui perdurent
Chapitre 2 – Une logique d’écriture partagée
2.1. « Café » et « Composition fruitée » Deux ateliers qui flattent le palais dans lesquels l’entrée en écriture se fait par les nourritures du quotidien
2.2. Écrire en regard des langues du monde
Le « tourment de langue », deux moments d’écriture où la question politique du choix du code, donc de la reconnaissance des cultures portées par les personnes est posée.
Paroles d’acteurs : « L’histoire d’Adriana, Gaetana, Alberta, Augusta… » (PL)
2.3. Trouver sa place : « Bruxelles mobilité » L’écriture comme transport en commun – Un atelier dans lequel la métaphore de l’accueil est donnée à vivre sous la forme d’un transport en commun dans un véhicule imaginaire.
2.4. Laïcité, versant « écriture »
Peut-on rire de tout ? – Une intervention en milieu scolaire, où, dans la foulée de la loi française de 1905 sur la laïcité, la question du droit à un espace privé, y compris dans l’École, est explorée avec des lycéens.
Paroles d’acteurs : « Seul le voyage ouvre les portes d’une maison dont on croyait détenir les clefs. »(GA)
2.5. Avec Weegee, écrire, c’est payant !
Pourquoi s’accoquiner avec les « mauvais genres » ? Dans cet atelier clin d’œil, l’écriture se dépouille d’une vision idéalisée et devient une pratique mercantile et pire, stakhanoviste.
Rebond : Le « tous capables », clef de voute.
Chapitre 3 – Pourquoi écrire ?
Autour de quelques mobiles à le faire
3.1. Atelier « Le dit des pierres »
Écrire l’intime – Une plongée matériologique dans l’intime, en écho aux travaux du chercheur Roger Caillois et du plasticien Jean Dubuffet où le rapport à l’intime et la notion de « dévoilement » en écriture sont centrales.
Paroles d’acteurs : « En prison, tout le monde ment » (NR)
3.2.« En remontant la rue Vilin »- L’écriture, entre perte et reconstruction Un atelier dans les pas de Georges Perec Un parcours entre écriture et arts plastiques, un travail de mémoire où la question du lien entre écriture et « travail de mémoire » est posée.
3.3. « Écrire la vie, franchir des frontières »
Un atelier dans les parages d’Annie Ernaux
… ou comment nous enrichir de la leçon de vie et d’écriture de l’auteure Annie Ernaux. Il nous fera entrer dans le débat politique et sociologique sur les franchissements de classes sociales, les attachements familiaux, les filiations chahutées que l’entrée en écriture peut provoquer.
Paroles d’acteurs : « À la rencontre des publics en situation d’illettrisme » (MN)
Rebond : L’engagement, encore.
Chapitre 4 – Les laboratoires
4.1. Le labo des codes
À la recherche des langues, des cultures et de leur créolisation, ce premier labo pose la question de la traduction et du voyage interculturel. Il se place dans le prolongement de « Tourment de langue » (chap.2b)
- Lettre aux amis du monde (suite)
- Atelier « Lost in translation »
Rebond : Écriture de pratiques, autofiction et glanage à l’œuvre.
Paroles d’acteurs : « Lucidité et logique de rupture » (MF)
4.2. « Mare nostrum »
Autour d’un territoire singulier et de sa mise en mot comme acte de résistance, la Méditerranée d’hier et d’aujourd’hui est tout à la fois un berceau de cultures et un cimetière marin. En pensée avec les migrants et réfugiés qui, au péril de leurs vies, traversent mers et continents, ce labo tente par l’écriture de donner à cet espace maritime une forme à la hauteur des bonheurs et des drames qui le constituent aujourd’hui.
Rebond – Sciences sociales et écriture en atelier de création
Parole d’acteurs : « Dire/écrire la subjectivité au travail : que faire des savoirs minoritaires ? (RB & SGA)
4.3. Savoirs, mémoire, histoire au cœur de la transmission.
À propos d’un atelier d’écriture au mémorial du camp d’internement nazi de Hinzert (RFA). Laboratoire du « visible et de l’invisible », cette proposition d’écriture a été faite lors d’une intervention avec des médiateurs dans un lieu de mémoire situé à proximité un camp d’internement nazi de Hinzert en Allemagne
Rebond – L’écriture prise dans la crise des sciences humaines
Paroles d’acteurs : « Un engagement dans la durée : publier une revue » (MM & TA)
4.4. « La signature humaine »
Autour de Germaine Tillion
Face aux sociétés humaines aux prises avec les guerres, qu’elles soient entre pays, civiles, de libération ou combat contre un envahisseur, ce dernier laboratoire centré sur la question éthique nous conduit de Kabylie à Ravensbrück et finalement à Alger et Namur. Il nous fait entrer dans la vie d’une femme d’exception.
Chapitre 4
Le socle (fin) & conclusion
• Vivre et penser poétiquement /
• Une navigation poétique au cœur des savoirs combinant faits de langues, faits de société, imaginaire et imagination /
• Faire du « rapport à l’autre » le fondement de la création et de la pensée /
• Cultiver le « doute épistémologique » /
• Interroger le divorce « science VS création » et sa variante pédagogique « démarche de construction de savoirs VS atelier d’écriture » /
• Changer de paradigme : penser « savoirs » ou « rapport à savoir » ? /
• Accueillir la notion d’opacité /
• Création ou culture : quelle est la question centrale ? /
• Refonder « le travail » comme valeur au cœur de la culture /
• Faire société autrement, nourrir le travail psychique, penser « milieux » et « développement » /
• Requalifier la notion de culture et donc promouvoir la « signature humaine »
Rebond – Qu’est-ce alors que la culture ?