Dans le miroir des mythes


N°98 « Rejouer le monde » – Vol. 3 – Dans le miroir des mythes

« Rejouer le monde » « Dans le miroir des mythes » vol 3 (2017)     « L’enfant avait placé une vaste caisse au milieu de la chambre et, depuis quelques heures déjà, il naviguait ainsi, brassant le vide, dévisageant l’horizon enfui dans le mur, le tapis figurant l’océan, la caisse un voilier de fort tonnage. Vers six heures, comme chaque soir à cette heure, le père rentra du travail. Il pénétra dans le salon, il eut le temps de désapprouver l’idée de son fils, il atteignit à cet instant le tapis, coula à pic et se noya. » Jacques Sternberg, Contes froids   Enfants déjà, nous inventions des mondes. Nous construisions des routes, nous soulevions les montagnes. « Tu serais la marchande, je serais le client ». Bien plus que des paroles, c’étaient des univers à explorer, un « mentir-vrai » de résistance (déjà !) au sérieux des parents. C’étaient nos affaires, motus et bouche cousue. Nous les savions éphémères et qu’importe. C’était sérieux car c’était du jeu. Plus tard, écoutant les poètes, comme toi lecteur, confiné dans la chambre, je m’en allais sur les routes et du rêve faisais mon chemin : Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! Là ! Là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées ! (1) Nous voici adultes à notre tour. Le temps nous taraude. La pluralité des mondes […]


N° 97 « Raisons, déraisons » – Vol 2 – Dans le miroir des mythes (2017)

      « Raisons, déraisons » « Dans le miroir des mythes » vol 2 (2017)   Un beau jour ou peut-être une nuit Près d’un lac, je m’étais endormie Quand soudain, semblant crever le ciel Et venant de nulle part surgit un aigle noir… Barbara C’est le paradoxe. Il traverse nos vies. L’oiseau de la déraison brouille les cartes, bouscule les frontières. À chaque fois, lucidité et ivresse, harmonie et chaos, paix et guerre, création et destruction se toisent, se frôlent, se frottent, s’éclipsent, esquivent et se rejoignent. D’Œdipe à Médée et à Antigone, de Sparte à Troie, les mythes, matrice de nos fictions, nous rappellent que de tous temps, femmes et hommes, dieux de l’Olympe et humains, se sont cognés au désir, aux passions, aux us, à la Loi. Qui sont les barbares, où sont-ils, quelle langue parlent-ils ? À chaque fois, il y va d’un territoire et de ses confins : celui d’un principe d’humanité à définir ; d’une humaine signature (1) à penser sans cesse, à apposer sans réserve. À chaque fois, a contrario, le sentiment d’un manque nous menace, « l’invincible nostalgie du retour à l’union totale, à l’Un indivis, au néant » (2). Ainsi, foin des oppositions binaires. Toute frontière, nous dit le géographe(3), est « traduction, régulation, différenciation et relation ». On y ajouterait volontiers « résistance », « lucidité », « contrebande ». Écrire poétiquement ce n’est pas dire le juste et l’injuste, fixer une norme, encore moins tracer quelque ligne rouge. Laissons cela […]


N° 96 « Je peins le passage » – Vol 1 – Dans le miroir des mythes (2017)

    « Je peins le passage » « Dans le miroir des mythes » vol (2017) Le mythe perturbe et fait bouger les lignes. Il fascine. À le fréquenter, glissant d’un monde vers un autre, nous franchissons d’insolites frontières : ici nos vies ordinaires, là un univers à bien des égards paroxystique. De multiples métamorphoses, d’étranges brouillages de lignes, de fatales chevauchées. Pire, d’implacables assignations, des lois bafouées, des interdits transgressés, humain et divin confondus au sein d’un joyeux et cruel fourre-tout : c’est l’hybris. Ce mesclun d’amour et de haine, de vengeance et de pardon, de pulsions et de désirs reste pourtant pour nous, les modernes, le premier terreau de nos imaginaires. Surgis des profondeurs du temps – tel est le paradoxe -, voilà nos sentiments les plus secrets, les plus actuels, par vous, révélés. Antigone, Œdipe, Ulysse, Orphée, Europe, Sisyphe sont parmi vos noms. Terribles et magnifiques, vos destins. À commercer avec vous, entre saisie et dessaisie, l’écriture se fait passe et passage du temps. Vous nous offrez la métamorphose. [Vos] yeux quand ils s’ouvrent, découpent [pour nous] dans le réel comme un ordre du visible*, comme un registre du dicible. Alors, dévoilant nos impensés, vous faites trembler nos marques. Est-ce le récit chez vous qui, à ce point, séduit ? Mythes, votre narration sans signature vaut bien des autorisations ! En palimpseste, quelques siècles plus tard, nous prenons notre tour. Nous entrons dans la danse, nous racontons, nous aspirons […]