Série 60′


N°68 « Galerie de contemporains » – 2007

La contemporanéité implique un être ensemble dans un maintenant qui bouleverse le temps ordinaire. L.C. www.reseaux-creation.org   Que se cache-t-il sous l’aspect lisse, vague et vaste de l’intitulé : « Galerie de contemporains » ? Ouvrir une galerie, c’est créer un lieu voué à l’observation, à la contemplation. S’agit-il de nous prendre à témoins, de nous rendre un peu plus sensibles à notre temps en accumulant sous nos yeux les preuves de sa diversité, en organisant la mise en scène de sa richesse, de ses douleurs, de ses courages ? Paradoxe que de vouloir forcer l’attention, attirer le regard sur ce qui est notre spectacle quotidien, tellement présent qu’il en devient invisible. Mais, 6 milliards et plus de contemporains ! C’est sûr, on oubliera du monde et nos limites en seront tracées. Pour une âme d’archiviste pointilleux et féru d’exhaustivité, toute galerie souffre d’absences, manque de couleurs. La contemporanéité a ses points aveugles. Une sorte d’archive sera malgré tout produite. Au fil des chroniques, transcriptions d’une réalité provisoire, se dessinent un début de cohérence, peut-être une volonté de signifier. Même un savant désordre peut prouver quelque chose, affirmer une vérité… Écriture de réalité et non de fiction. L’auteur se fait narrateur de ses semblables, il les choisit comme objets d’histoires, entre dans leurs préoccupations, dans les valeurs qui sous-tendent leurs actes ordinaires, dans leurs difficultés et petits plaisirs. Chacun transmet à sa manière, voit du dedans ou du dehors, tait sciemment, […]


« Intime VS extime » – 2007

Edito Ce qu’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire. Jacques Derrida 1930-2004 Nous pourrions rapidement nous accorder sur l’essence de l’intime : le plus brûlant, le plus secret dans l’être, à peine connu de lui, uniquement privé. Mais pour ce qui est de l’extime ?   Michel Tournier nous a offert le néologisme en qualifiant ainsi son journal1.  Chaque auteur fait la part entre ce qui ne se dit ni ne se montre et ce qu’il proposera au vu et au su de tous. Le texte est un coup de force sur l’intime, un aveu qui se voile de mots et qui a trouvé sa forme, son genre. L’écriture tient du choix et de la décision : obscurité ou transparence, on ne dira pas tout car tout n’est pas dicible, mais on se dira. Qu’il s’agisse de solitude, de rêves, de regrets, de l’enfance et de ses peurs, mais aussi de la voix et du silence, du mystère de la mort, de la prière, de la joie… Toute littérature n’est-elle pas marquée au vif par cette part de soi – normes et vérité assumées – que l’auteur engage dans ses écrits, consciemment ou à son insu ? Façonnée par cette relation ambiguë nouée avec son lecteur ? Intime versus extime : sait-on lequel engendre l’autre ? Ruban de Möbius ou bouteille de Klein. Sait-on ce que l’écriture gagne à cette complémentarité ? […]


N°65 « Ludotextes » 2006

« Ludotextes » Vrai, le terme « ludotexte » n’existe pas, mais tout le monde comprend l’intention : interroger l’apparente gratuité de cette écriture, refuser l’esprit de sérieux, lui opposer le rire, la surprise, l’iconoclasme. À écriture créative, lecture légère ! Laissons prise au jeu ! De fatrasies en pirouettes, de fariboles en plaisantes plaisanteries, demandons à la langue de nous séduire, par ce qu’elle porte d’incongru, par ce qu’elle forge entre sèmes et sons, par ce qu’elle accepte de nouer. Ce fil à retordre, sens et contresens unis en colloque toujours singulier. Soyons à l’écoute de ses hasards, que cela sonne, que cela slame : voyelles en couleur, consonnes en tambour. Pour de rire peut-être, pour de bon toujours, dans le risque à chaque fois. Ne serait-il pas plus facile d’émouvoir ? Bref, il y a du plaisir à étirer la pâte tous azimuts. À s’en donner à coeur joie, à pousser la chose aux limites, parfois comme on pose sa dernière carte. Rire et faire rire, distraire, détourner, certes tout est dans la manière. Mais l’effet attendu sera-t-il au rendez-vous ? C’est le pari. Plus imprédictible que jamais, tout entier confié au hasard, à la rencontre d’un auteur avec ses lecteurs. Et s’il arrive que le texte grimace, s’il fait grincer les dents, ne serait-ce pas, en dernier ressort, en désespoir de cause ? Dans une approche toute pascalienne du divertissement ? Odette et Michel Neumayer Carnoux, le 12.11.06   Sommaire […]


« Est – Ouest et retour » – 2006

    Edito à Nathalie F.   « Rien ne disparaît de ce qui a dû être abandonné  » Henri Wallon   Tout a commencé par un pressant défi de Nathalie Ferrier, en poste au Centre Culturel français de Moscou : ce serait bien si les liens déjà tissés entre Moscou et Marseille perduraient dans un autre numéro de Fili (1) ! Faisons mieux connaissance avec nos littératures respectives. Offrons-nous réciproquement des textes d’auteurs auxquels nous tenons, représentant pour nous ce que nous aurions envie de faire savoir aux autres. Et à partir de là, chacun pourrait choisir et écrire en écho, en écart, en voisin ou en étranger. Les textes seraient comme des miroirs où se mirer, se reconnaître autre ou pareil… Les « prétextes  » joueraient le rôle de tremplin, d’apport, d’horizon en trouvant leurs destinataires. Tout cela était bel et bon. Mais Nathalie, sans avis préalable, une mauvaise nuit de novembre, s’en est allée rejoindre les anges… Peut-être de là-bas veille-t-elle encore : le flambeau a été repris et les fils renoués grâce à l’engagement et à l’amicale ténacité de Carole Foullon, qui a tenu envers et contre tout à faire vivre le projet. Alors, elle a battu le rappel et nos lointains correspondants Oleg, Sacha, Olga, Inna, Micha, Sergueï, Irina et les autres – tous francophones et francophiles – se sont mis de la partie et ont envoyé leurs pages de Dostoïevski, Gogol, Gorki, Maïakovski, Pouchkine, Oulitskaïa, […]


N°64 Une date forcément

Edito   « L’ange. C’est une statue moscovite aux pieds pris dans un nuage de pierre. L’ange demeure ange. » Nathalie Ferrier, Filigranes, N°63, nov. 2005.   Entre les dates et nous, quoi ? La mémoire, captée par cette borne précise et fiable, s’accroche mais le fil est ténu. Il est des événements qui vous prennent en traîtres et s’abattent dans votre vie sans que vous ayez vu le coup venir. Une date est-elle autre chose qu’un petit amas de chiffres, sorte de talisman, qui ouvre sur un temps hors du temps présent ? Peut-être, mais la date ordonne, range, assigne une place dans une succession. A peine évoquée, elle fait se lever des images, des fantômes et probablement des anges. Mais qui nous dira sa vérité vraie ? Cette nuit-là (celle du 26 au 27 novembre 2005), vous étiez chez des amis, ambiance joyeuse, loin, à 100 000 lieues de l’évidence et du désespoir. Notre volonté d’en faire des repères rend certaines dates rayonnantes quand d’autres se transmettent dans le secret du cœur, tirant force et vertu de leur discrétion même. Et puis, vous apprenez la funeste nouvelle. Pourquoi ? Chaque anniversaire les recharge d’émotion. Dates heureuses pour les uns, sombres pour les autres et néanmoins les mêmes qui nous laissent sans réponse, privés pour toujours. Des mondes s’appellent, se repoussent, se répondent, se différencient. La date fait lien. Consciente de ses enjeux, elle se gonfle de significations multiples, d’interprétations. Elle veut […]


N°63 « Découper le monde avec la langue »(2005)

Edito   « Voyons, d’où vient le verbe ? Et d’où viennent les langues ? De qui tiens-tu les mots dont tu fais tes harangues ? Écriture, Alphabet, d’où tout cela vient-il ? Répond. » V. Hugo, Dernière gerbe. Recueil publié en 1902. « Désir et mort sont deux des noms que nous donnons à l’innommable. » Marc Le Bot, Images, Magies, 1990.   Imaginons un monde vierge, encore innommé. Voilà que survient l’homme qui pose sur toutes choses un nom, voilà qu’il baptise à tout va. Babel aidant, le même objet héritera de plusieurs désignations qui l’établissent, le disposent en catégories, au risque de s’y perdre. Fruit ou légume ? Qui a décidé pour la tomate ? Qui dira la violence de toute nomination ? La langue tourne et retourne. Et voilà le fameux Verbe des commencements qui va se complexifiant, les discours ajoutés aux discours, les dictionnaires aux dictionnaires. Divine surprise : le monde s’énonce ! Je peux le faire exister, apparaître et disparaître à mon gré, avec délicatesse ou avec démesure. La langue tourne et retourne. Vivante, verte, maternelle, étrangère, mais tout amour… la langue ! Descriptions, récits, proses, romans, grandes scènes du II, poèmes – ô, le poème ! –… autant de manières de détailler pour saisir, inventer au besoin, maîtriser, subjuguer. Même les enfants s’amusent à feuilletonner ! Au début était la langue ? Toute histoire, fable, prophétie, passent par son primat. L’écriture est elle-même un fait de […]


N°62 « La vie au vif » – 2004

      Edito   « De la vie à la vie, quel chemin ! » Milosz Infinie et pourtant déjà brève, la vie au vif est un sourire, un paysage, le timbre d’une voix, une naissance peut-être… Alors une profondeur s’ouvre, aussitôt refermée. L’instant d’après se déroule comme pressenti ou redouté et nous restons saisis, transformés à notre insu, par ce grain de réalité reconnue dont nous appréhendons soudain pleinement le sens. Cet instant privilégié ne fera pas plus de trois pages dans la revue. La vie est à prendre bleue ou à point ! Comme une photo dont on ne verrait que le visible et les options du photographe. Si l’écriture donne à voir l’invisible, quels appareils parviendront à surprendre ces instantanés ? Quels choix d’écriture, apparents ou cachés, inventeront le vif ? Un vécu, même ardent, même violent ne produit pas à coup sûr l’intensité du texte. Une consigne serait : tenter de cerner la réalité au plus près et ensuite voir ce que l’on a fait pour s’en approcher, s’y attacher, comment on est entré dans le vif du sujet. Identifier le moment où l’on tourne autour du pot. Trouver la métaphore qui mettra du liant et donnera à comprendre l’improbable trajet reconstituant la scène perdue, la sensation, la pensée. Vivre puis raconter fidèlement, au risque d’arpenter du banal, de se laisser entraîner par les mots ou alors, inventer ce qu’on raconte, faire du récit une manière […]


N°61 D’autres chats à fouetter…

    D’autres chats à fouetter…   « Dans ma cervelle se promène, Ainsi qu’en son appartement, Un beau chat, fort doux et charmant […]. » Charles Baudelaire Fouetter un chat ? Pas facile ! Le félin se rebiffe. Il vous glisse entre les mains et vous laisse à votre animosité à moins que la tentative ne se solde par un coup de griffes magistral. Bien fait ! D’autres chats à fouetter… Mais s’agit-il bien ici de prendre l’expression au pied de la lettre ? Imaginons que nous nous intéressions à l’écriture et que la proposition d’écrire s’attire cette réponse brutale et peu amène. Autrement dit : « Je ne suis ni intéressé ni disponible, d’autres tâches m’appellent ». Voici donc l’écriture et le temps d’écrire lui-même repoussés, récusés, bannis avec un empressement et une violence qui surprennent. Tous les biais, tous les prétextes sont bons pour expliquer l’évitement. Comme si, mesurée à l’aune des choses vitales, l’activité en question ne valait pas la peine. Entre le futile et l’essentiel, est-ce l’alternative ? Quels arguments pourraient légitimer et autoriser la procrastination, joli mot pour remettre à demain. D’autres chats à fouetter… Cette fin de non recevoir, destinée à décourager, inciterait à briser là. Mais cherche-t-on sous les mots, se profile alors l’ombre d’un regret. Optimistes, nous supposerons que la rudesse de la réplique cache malgré tout un certain désir d’écrire, et paradoxe, ce refus même donne lieu à écriture. Les textes disent comment […]


N°60 Le don du texte

Le don suggère un au-delà à ce qui est donné : le lien, la confiance et non le calcul. Parce que nous avons appris à vivre dans l’ombre portée de textes fondateurs, nous savons d’intuition qu’un texte donné est secrètement accompagné d’un dit encore à dire, d’un plus qui engage l’avenir. Donner, recevoir, rendre. Mystérieuse triade ! Elle fait le quotidien des hommes et nous ne cessons d’interroger sa raison d’être. Depuis des millénaires, elle nous inscrit dans le commerce des autres. Elle initie et régule nos relations. Elle atteste de notre appartenance à un groupe, à une société, à une communauté. Les relations d’un auteur à une revue n’échappent pas à cette règle. Par ce fragment d’écrit détaché de lui et offert, l’auteur devient destinataire du travail du Collectif. Son texte trouve dans la revue un espace de vie, une problématique, un lectorat. Il s’enrichit d’un sens nouveau en se mesurant à l’aune des autres textes. Puis, par l’autonomie qu’il prend, une fois accepté, l’objet-texte laisse derrière lui le donneur comme le receveur. Il se libère de leur emprise. Il est en devenir : de nouvelles potentialités de lecture, d’intelligence, d’opacité peut-être, s’ouvrent à lui. Il vit sa vie de texte, il va, prodiguant le sens à tout venant. Lettres d’amour, mythes et récits, poèmes, témoignages, testaments, choses pensées, rêvées… Le texte, s’il dit la vie, ne peut s’y substituer. La violence, la douceur, la force des mots, […]