Édito
Carzou, monde réel / monde imaginaire
L’artiste crée une œuvre qui doit être complétée par son public et est, par conséquence
nécessairement imparfaite : c’est par les vides de l’œuvre que le lecteur y insuffle la vie.
(Alberto Manguel, L’Apocalypse selon Dürer, Éditions Invenit, 2015)
La première fois qu’on entre, on est un peu écrasé, oppressé par l’immensité des peintures. Il faut prendre le temps de digérer, au sortir ou à l’entrée de temps apocalyptiques, pour commencer à voir derrière l’œuvre de Carzou toute la symbolique qu’elle nous révèle, conformément au sens étymologique du grec « apokalupsis » révélation, le verbe « apokaluptein » signifiant découvrir. Le travail, par son ampleur et sa symbolique, ne laisse personne indifférent. Mais pour cela, il doit venir chatouiller l’imaginaire des passants qui s’y aventurent.
C’est cette rencontre entre l’œuvre monumentale et l’art d’écrire que la revue Filigranes a mis en place lors des Correspondances 2024 : déambuler, se laisser imprégner, et puis écrire, partager, découvrir la résonance secrète entre les mots et les peintures.
Une heure en immersion, errer dans la chapelle en laissant venir les mots, non pour décrire mais pour rebondir, creuser et aller à la recherche des symboles, des lumières crues, de la vie qui émerge dans un paysage désolé, laisser les mots trouver leur issue sur les pages, sans trop savoir ce qu’il faudra en faire.
Ils dorment, on les reprend, on se remet à l’ouvrage à distance : en filigrane, des oiseaux s’envolent, l’amour, dans un recoin, guette la fin des hostilités. La musique des mots s’installe, parvient aux oreilles de ceux qui construisent la revue. Elle trouve place dans cette résonance active avec la vie passée, présente et à venir. C’est un chemin de mots qui s’ouvre en éventail à partir de ce dôme pictural où l’histoire se pose un instant. Qui dit chemin, dit stations, pauses, où laisser le chant respirer un peu.
Pour les uns, le regard s’arrête à la blessure, aux plaies ouvertes d’un monde en proie à de féroces appétits où l’humain peine à trouver sa place. Pour d’autres, une ligne s’en vient de l’horizon onirique des tragédies pour nous relier à Chronos dans la course sans fin d’un temps qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Écrire, enfin, est le véhicule qui nous permet de traverser, de ne pas nous laisser anéantir par la pesanteur des images, de déceler, ici et là, les signes de vie qui se font lignes d’espérance.
Désormais invisible, pour un temps indéterminé1, l’œuvre de Carzou dort derrière une lourde porte. Les écrits réunis dans ce numéro spécial de Filigranes se font témoins de sa relation au monde.
Xavier Lainé, Manosque, 19 juin 2025
1 Par décision municipale de fermeture, à compter du 31 décembre 2024, afin de réaliser des travaux et recherche d’un repreneur privé)
Cursives
Imaginer un monde réel / À la rencontre de Jean Carzou
La revue Filigranes…ce recueil dans la chapelle.
Petit voyage dans le temps aux numéros 7-9 Boulevard Élémir Bourges à Manosque. En 1819, la communauté religieuse des sœurs de la Présentation se constitue. Une première chapelle est érigée en 1833. Ne subsiste de cette période qu’un fragment de décor mural. La grande chapelle de style néoclassique actuellement visible est construite de 1841 à 1845, consacrée en 1848. L’ordre des Sœurs de la Présentation quitte Manosque en 1904. L’ancien couvent et la chapelle connaîtront différents temps d’occupation liés à des activités diverses et variées, jusqu’à leur rachat par la ville de Manosque en 1983 et 1984. L’ensemble de l’édifice est classé au titre des Monuments historiques en septembre 1987.
L’Apocalypse de l’artiste Carzou, œuvre peinte monumentale installée dans la chapelle, est inaugurée en 1991.C’est à cette occasion que la Fondation Carzou est créée. Après plusieurs années riches en projets artistiques et culturels, cette dernière est dissoute au début de l’année 2023. La communauté d’agglomération Durance Lubéron Verdon prend alors en charge la gestion du site qui devient « Centre Carzou». En septembre 2024, sur proposition du Centre Carzou, le collectif de la revue Filigranes occupe l’espace de la chapelle pour y animer un atelier d’écriture. C’est donc en totale immersion dans l’Apocalypse de Carzou que les participants à ces ateliers ont échangé, erré, expérimenté, exprimé et griffonné sur des bouts de papier des mots, des pensées, des phrases, autour du thème « Monde réel / Mondes imaginés : une correspondance ». Un temps d’écriture extraordinairement fertile, animé par le collectif de la revue, sous l’œil bienveillant d’Icare, imposant, ailé.
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@v5 Curs Carzou 25:06:25
Oeuvres mises à disposition de la revue par les Archives municipales de la Ville de Manosque
Regards sur l’atelier
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