Dans l’entre-deux des langues – Entretien avec Lothar Weber 


Cet entretien est paru dans
Filigranes n°43
« Humain / Inhumain » Mai 1999

 

L’entretien que nous proposons dans ce numéro est l’occasion pour Filigranes de rendre hommage à ceux de nos auteurs qui ont fait le choix et ont pris le risque – de ne pas écrire dans leur langue maternelle mais de faire le saut vers la langue étrangère qu’est pour eux le français. Lothar Weber, citoyen allemand, enseignant de français, formateur d’enseignants en RFA (Land de Hesse), nous raconte comment il est entré dans le territoire de la langue française et y a découvert le bonheur d’écrire.

 

« Si le mot que tu veux prononcer
n ‘est pas plus beau que le silence,
ne le prononce pas. »
(Sagesse Soufî)

Les années d’apprentissage

Lothar Weber : J’ai commencé à apprendre le français à l’âge de 14 ans. J’ai fait 5 ans de français au ly–cée, puis 3 ans à l’Université. Pendant toute cette période je n’ai pas eu le sentiment d’avoir réellement appris la langue, mais simplement de m’y être exercé. Au début, cet apprentissage était peu intéressant. Le manuel scolaire tenait lieu de Bible. Hors du livre point de salut.
Les choses ont pris une autre tournure en changeant d’enseignant : il nous faisait parler, écrire, bref travailler directement dans la langue étrangère. Par sa façon d’enseigner et de nous impliquer dans le travail, cet homme m’a réellement donné l’amour du français ! Le résultat a été qu’à la fin de ma scolarité secondaire, j’ai dé–claré que je voulais devenir professeur. « Faites des études de français », m’a-t-il dit.
Dès cette époque, la langue française (ma 4ème langue étrangère après l’allemand – à la maison je ne parlais que le patois de notre région – l’anglais et le latin) m’attirait par ses sonorités et sa musicalité. Dans mon village de Hesse on m’appelait « Lothar le Français ». J’avais une façon de vivre qui était bien plus gaie que les autres, j’aimais la bonne chère. Etre qualifié de français, cela me plaisait !
J’avais pensé un moment faire des études d’anglais. Je parlais mieux l’anglais, je sentais qu’il me faudrait encore beaucoup travailler pour bien maîtriser le français. Mais qu’importe ! Dans les cours, il y avait de la place et – contrairement aux groupes d’anglicistes – beaucoup plus de femmes que d’hommes ! Ceci m’a donné à penser que cette langue était plus féminine. Une langue à apprendre avec l’âme et le coeur. Je dois dire qu’au début, je m’inquiétais même de ne pas être assez masculin dans mes choix. Plus tard, j’ai changé de point de vue sur cette question. J’ai aussi pensé que les femmes sont plus douées pour les études de langues que les hommes.

Filigranes : Quelles ont été les réactions dans ta famille ?

Lothar Weber : Mes parents étaient rassurés de me voir devenir enseignant, c’est tout. Quant aux langues, eux ne parlaient que le patois de la Hesse du Nord et l’allemand bien entendu. Il y avait peu de livres à la maison. Mon père détestait me voir lire et m’envoyait travailler à l’étable ou ailleurs parce que, quand je lisais, je ne voyais plus ce qui se passait autour de moi. Je lisais beaucoup, surtout de la littérature populaire, des histoires de westerns, des romans d’aventure. Il y avait aussi la biblio–thèque de l’école et la bibliothèque du village où j’ai tout lu.

Filigranes : Comment ton rapport au français a-t-il évolué à l’Université ?

Lothar Weber : A l’Université, j’ai découvert la littérature : Le Petit Prince notamment. Cela a été le déclic. Je l’ai lu sur le champ pendant un séminaire et plus rien d’autre ne comptait. Je passais des heures dans la biblio–thèque de l’Institut. Je me régalais. Un monde nouveau s’ouvrait à moi : j’étais fasciné par la beauté de ces textes, et heureux de les comprendre si bien. De Saint-Exupéry à Ronsard, en passant par Molière et bien d’autres, j’étendais le cercle de mes lectures.

 

Les années de voyage

 Lothar Weber : Je suis venu en France pour la première fois à l’âge de 22 ans, dans le cadre d’un échange d’étudiants. Nous étions hébergés dans une École Normale et c’est là que j’ai réellement commencé à me mettre à la langue parlée. Au départ, j’étais loin de parler librement. En huit semaines tout était là. A la fin du séjour, j’étais capable de m’expri–mer couramment en français.

 

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Lothar Weber n°43