LE POLAR : UNE AUTRE FAÇON D’ÉCRIRE L’HISTOIRE – Entretien avec René Merle


Cet entretien est paru dans
Filigranes n°49 « Polars & Cie » Avril 2001

Avec René Merle le polar s’enracine dans un territoire et son histoire. René MERLE retrace pour FILIGRANES quelques étapes de son itinéraire : du professorat à la langue et à la poésie occitanes, de l’écriture à l’histoire. Un itinéraire qui aurait pu semblé tout tracé, si le désir de transmettre son savoir à d’autres, une rencontre et quelques événements politiques récents et plus anciens ne l’avaient fait bifurquer. René Merle est l’auteur de Treize reste raide, paru en 1997 aux éditions Gallimard (collection Série Noire).

 

Occitanie

Filigranes : René Merle, avant de parler plus précisément de votre polar Treize reste raide, parlez-nous un peu de votre parcours.

René Merle : Je suis né en 1936, ce qui veut dire que je fais partie de cette génération qui a connu une France qui, par certains côtés, était presque identique à celle du XIXe siècle, puis ces Trente Glorieuses où on a découvert la société dite de consommation, où on a traversé les guerres coloniales, le mouvement de 68. Cela amène à un certain pessimisme : on a l’impression que le monde s’est grandement amélioré sur le plan matériel, mais ne correspond pas à ce qu’on aurait souhaité sur le plan affectif, spirituel. A côté de ça, j’ai été prof toute ma vie, et c’est un métier qui m’a beaucoup plu. J’ai été normalien, j’ai été reçu à l’ENSET et j’ai débuté comme prof en lycée technique, puis j’ai passé l’agrégation d’histoire (ce qui a changé le regard de certains sur moi ! !) et après, je me suis lancé dans une thèse pour le plaisir, et comme j’ai toujours eu une sensibilité patrimoniale, occitaniste, j’ai fait une thèse à la fois d’histoire et de linguistique romane : c’était un inventaire avec une équipe du CNRS sur tout ce qui avait pu être écrit de 1770 à 1840 en provençal dans la région PACA et la partie du Languedoc où on parle un occitan provençal. Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre pourquoi ces gens qui étaient tous bilingues ont écrit certaines choses dans une langue plutôt que dans une autre, en particulier au moment de la Révolution française. A partir de ce moment-là, j’ai été embarqué dans ce monde occitaniste très varié qui va des nationalistes persuadés qu’il existe une nation occitane jusqu’au félibre avec sa cigale. Comme j’écrivais en occitan des textes poétiques que je traduisais pour en donner une version française (alors que le plus souvent c’est quelqu’un d’autre qui vous traduit), j’ai réfléchi à ce qui se passe quand on traduit sa pensée avec des mots différents : de fait, on ne dit pas la même chose, il y a des choses que l’on préfère dire en français et d’autres en occitan. Mais ce qui est dommage, c’est que les lecteurs de poésie occitane attendent surtout une poésie de combat, de témoignage. La poésie lyrique les déçoit, et on se retrouve avec très peu de lecteurs.

Des polars, j’en lis depuis toujours

Filigranes : Vos quelques lecteurs de l’époque ont dû être très surpris de vous voir écrire un polar. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire Treize reste raide ?

René Merle : Il faut dire d’abord que des polars, j’en lis depuis toujours. J’ai commencé par les Américains, j’aimais bien cette façon très simple et très brutale qu’ils avaient de démystifier le mythe américain, de montrer les rapports de force à l’œuvre dans la société moderne. Ensuite, il y a eu la période française du polar de dénonciation, tant qu’il ne s’est pas réduit à des pamphlets néo-gauchistes indigestes, parce que trop manichéens, bourrés de poncifs. J’aimais bien des gens comme Manchette, Fajardie, Jonquet, Daeninckx avant qu’il distribue le blâme et l’éloge, Izzo en regrettant qu’il s’enferme dans un système marseillais (il en serait probablement sorti si le cancer ne l’avait pas tué). A l’heure actuelle il y a des femmes très intéressantes : Fred Vargas, Dominique Manotti. Leurs livres sont bien ancrés dans la société contemporaine sans tomber dans le réalisme plat. A l’étranger, je suis emballé par Montalban, dont j’ai toujours suivi les chroniques dans El Pais en appréciant son point de vue marxiste et sa vison lucide sur la péninsule ibérique.  Son humour, sa visualisation constante de différents types sociaux m’ont emballé. J’ai pas mal lu aussi les jeunes italiens qui ont résolu de façon intéressante la question de la langue : entre un italien officiel plus écrit que parlé et une oralité encore très liée aux dialectes, ils ont opté pour une langue orale interdialectale, celle des grandes villes du Nord envahies par les sudistes, influencée par les médias et constituant un mélange détonant et proprement intraduisible, dont les versions françaises ne donnent pas vraiment le reflet.

 

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René Merle n°49