N°100 « 100% création » – vol 2 – (2019 Une année particulière)


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Edito
(« Une année particulière » Vol. 2) 
(2018)

« Le poète achemine la connaissance du monde
dans son épaisseur et sa durée, l’envers lumineux de l’histoire
qui a l’homme pour seul témoin. »
Édouard Glissant

 

On ne célèbre pas tous les jours un anniversaire de la sorte. On ne calcule pas à tout moment le nombre de pages publiées et les auteurs rassemblés. On ne revisite pas à chaque instant l’écheveau des thèmes, des problématiques, des pistes. Quand la date fatidique survient, quand le chiffre rond apparaît, on est plutôt bouche bée. Des visages défilent. Des impressions reviennent. Des rencontres faites, des rendez-vous pris, des paroles remontent à la conscience comme autant de bulles. Évanescentes, elles éclatent mais demeure l’embarras : « à quoi bon » et « que faire de tout cela » ? On cherche alors quelque parade, un argument, une raison majeure et on replonge, on compulse, on tourne à nouveau les pages, on se remet à l’écoute de ce qu’on avait fini par oublier. Et surgissent…

… Le plaisir du texte dont, énigmatique, Barthes (1) dit  (il pense au lecteur) « ne jamais s’excuser, ne jamais s’expliquer (…) Je détournerai mon regard, ce sera désormais ma seule négation ». Car enfin, nous-mêmes face à la pile, quels autres choix assumer sinon le refus des ingérences, nous émanciper du diktat du « tout lire », « du tout prendre, tout comprendre, d’une seule bouchée » ? Revendiquons l’opacité. Plaidons le droit à picorer. Prélevons sans vergogne : oui, ceci ? Peut-être cela ? Mais encore… déjà rassasiés ? Nous voilà fine bouche et fiers de l’être, car oui, face au Texte nous sommes libres, en effet !

… Le bonheur des compositions. De page en page et en numéro des fils se tissent. Des textes se répondent. Nus comme des vers, ils se tortillaient encore sur la page, nos mots. À présent ils se vêtent, se parent, s’offrent et acceptent de se répondre. Chaque cahier, chaque numéro se fait alors tout à la fois refuge et tremplin. Pour l’enfant-texte que nous avions produit, pour l’orphelin abandonné dans le rébus de ses pauvres mots, c’est un royaume qui s’ouvre. Alors, nous-mêmes, écrivants à peine sortis du tourment des langues, pris encore en tenaille entre vivre et écrire, exposés au dépareillé, alors seulement apparaît à nos yeux qu’enfin un sens possible puisse s’épingler au revers des vestons et orner, tel un fragile bijou tout juste poli, ce que nous avions produit.

… Une culture pour aujourd’hui. Emboités, inclus, mélangés, les poèmes, les entretiens, les photos se configurent alors en tapis. Tour à tour rêche, moelleux, profond, léger sous le pas. Recel de tant d’aveux, cet imaginaire textile les abrite, les conserve, les cache mais nul soupçon en lui de déco ou d’égotisme, rien de plus que mille façons de vivre et de rêver, de souffrir parfois mais chaque fois, à nos yeux, d’espérer aussi… et c’est beaucoup déjà.

De l’humaine culture, il ne nous confie encore que créer est un travail patient ! Que par delà les espaces et les temps créer nous relie ! Créer jamais ne hiérarchise, ne trie ni n’exclut mais seulement accueille… et c’est beaucoup déjà.

… « une tombe au creux des nuages » (1) pour celles et ceux qui ne sont plus parmi nous, car « il y a dans la mémoire quelque chose qui pense l’oubli »(3) et le panse, d’anciens temps, des amours que l’on a reçues, des visages que l’on a connus, une ouate précieuse, un zéphyr, un infini sans bord, un ciel au-delà du temps.

Alors, sommes-nous toujours 100% création ?
Le serons-nous encore longtemps ? Oui !
Cette addiction, ce merveilleux pari, ce pacte faustien,
pour toutes ces raisons, c’est notre avenir, c’est demain déjà.

encore un jour… encore un soir … encore texte…
une nuit encore… avant demain…

Filigranes (MN)

 

1) Roland Barthes, Le plaisir du texte, Seuil
(2) Jorge Semprun, Un tombe au creux des nuages, Champ
(3) Maurice Olender, Un fantôme dans la bibliothèque, Seuil

 



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