Edito<\/span>
\n(\u00ab\u00a0Une ann\u00e9e particuli\u00e8re\u00a0\u00bb Vol. 2) <\/span><\/em> (2018)<\/span><\/h2>\n

\u00ab\u00a0Le po\u00e8te achemine la connaissance du monde <\/span><\/em><\/span>
\ndans son \u00e9paisseur et sa dur\u00e9e, l’envers lumineux de l’histoire<\/em><\/span>
\nqui a l’homme pour seul t\u00e9moin.\u00a0\u00bb<\/em><\/span>
\n\u00c9douard Glissan<\/span>t<\/p>\n

 <\/p>\n

On ne c\u00e9l\u00e8bre pas tous les jours un anniversaire de la sorte. On ne calcule pas \u00e0 tout moment le nombre de pages publi\u00e9es et les auteurs rassembl\u00e9s. On ne revisite pas \u00e0 chaque instant l’\u00e9cheveau des th\u00e8mes, des probl\u00e9matiques, des pistes. Quand la date fatidique survient, quand le chiffre rond appara\u00eet, on est plut\u00f4t bouche b\u00e9e. Des visages d\u00e9filent. Des impressions reviennent. Des rencontres faites, des rendez-vous pris, des paroles remontent \u00e0 la conscience comme autant de bulles. \u00c9vanescentes, elles \u00e9clatent mais demeure l’embarras : \u00ab\u00a0\u00e0 quoi bon\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0que faire de tout cela\u00a0\u00bb ? On cherche alors quelque parade, un argument, une raison majeure et on replonge, on compulse, on tourne \u00e0 nouveau les pages, on se remet \u00e0 l’\u00e9coute de ce qu’on avait fini par oublier. Et surgissent\u2026<\/p>\n

\u2026 Le plaisir du texte dont, \u00e9nigmatique, Barthes (1) dit  (il pense au lecteur) \u00ab\u00a0ne jamais s’excuser, ne jamais s’expliquer (\u2026) Je d\u00e9tournerai mon regard, ce sera d\u00e9sormais ma seule n\u00e9gation\u00a0\u00bb. Car enfin, nous-m\u00eames face \u00e0 la pile, quels autres choix assumer sinon le refus des ing\u00e9rences, nous \u00e9manciper du diktat du \u00ab\u00a0tout lire\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0du tout prendre, tout comprendre, d’une seule bouch\u00e9e\u00a0\u00bb ? Revendiquons l’opacit\u00e9. Plaidons le droit \u00e0 picorer. Pr\u00e9levons sans vergogne : oui, ceci ? Peut-\u00eatre cela ? Mais encore\u2026 d\u00e9j\u00e0 rassasi\u00e9s ? Nous voil\u00e0 fine bouche et fiers de l’\u00eatre, car oui, face au Texte nous sommes libres, en effet !<\/p>\n

\u2026 Le bonheur des compositions. De page en page et en num\u00e9ro des fils se tissent. Des textes se r\u00e9pondent. Nus comme des vers, ils se tortillaient encore sur la page, nos mots. \u00c0 pr\u00e9sent ils se v\u00eatent, se parent, s’offrent et acceptent de se r\u00e9pondre. Chaque cahier, chaque num\u00e9ro se fait alors tout \u00e0 la fois refuge et tremplin. Pour l’enfant-texte que nous avions produit, pour l’orphelin abandonn\u00e9 dans le r\u00e9bus de ses pauvres mots, c’est un royaume qui s’ouvre. Alors, nous-m\u00eames, \u00e9crivants \u00e0 peine sortis du tourment des langues, pris encore en tenaille entre vivre et \u00e9crire, expos\u00e9s au d\u00e9pareill\u00e9, alors seulement appara\u00eet \u00e0 nos yeux qu’enfin un sens possible puisse s’\u00e9pingler au revers des vestons et orner, tel un fragile bijou tout juste poli, ce que nous avions produit.<\/p>\n

\u2026 Une culture pour aujourd’hui. Emboit\u00e9s, inclus, m\u00e9lang\u00e9s, les po\u00e8mes, les entretiens, les photos se configurent alors en tapis. Tour \u00e0 tour r\u00eache, moelleux, profond, l\u00e9ger sous le pas. Recel de tant d’aveux, cet imaginaire textile les abrite, les conserve, les cache mais nul soup\u00e7on en lui de d\u00e9co ou d’\u00e9gotisme, rien de plus que mille fa\u00e7ons de vivre et de r\u00eaver, de souffrir parfois mais chaque fois, \u00e0 nos yeux, d’esp\u00e9rer aussi\u2026 et c’est beaucoup d\u00e9j\u00e0.<\/p>\n

De l’humaine culture, il ne nous confie encore que cr\u00e9er est un travail patient ! Que par del\u00e0 les espaces et les temps cr\u00e9er nous relie ! Cr\u00e9er jamais ne hi\u00e9rarchise, ne trie ni n’exclut mais seulement accueille\u2026 et c’est beaucoup d\u00e9j\u00e0.<\/p>\n

\u2026 \u00ab\u00a0une tombe au creux des nuages\u00a0\u00bb (1) pour celles et ceux qui ne sont plus parmi nous, car \u00ab\u00a0il y a dans la m\u00e9moire quelque chose qui pense l’oubli\u00a0\u00bb(3) et le panse, d’anciens temps, des amours que l’on a re\u00e7ues, des visages que l’on a connus, une ouate pr\u00e9cieuse, un z\u00e9phyr, un infini sans bord, un ciel au-del\u00e0 du temps.<\/p>\n

Alors, sommes-nous toujours 100% cr\u00e9ation ?
\nLe serons-nous encore longtemps ? Oui !
\nCette addiction, ce merveilleux pari, ce pacte faustien,
\npour toutes ces raisons, c’est notre avenir, c’est demain d\u00e9j\u00e0. <\/em><\/p>\n

encore un jour\u2026 encore un soir \u2026 encore texte\u2026
\nune nuit encore\u2026 avant demain\u2026 <\/em><\/p>\n

Filigranes (MN)<\/p>\n

 <\/p>\n

1) Roland Barthes, Le plaisir du texte, Seuil
\n(2) Jorge Semprun, Un tombe au creux des nuages, Champ
\n(3) Maurice Olender, Un fant\u00f4me dans la biblioth\u00e8que, Seuil<\/p>\n<\/td>\n