N°109 « Champ / hors champ » (Focales vol.2 -2021)


Champ / Hors champ »

Toute écriture, toute création est une découpe. Des sujets – vous, moi – décident de produire. Ils tirent du réel qui les environne matière et matériaux pour la création. Tous, dans l’enfance nous avons appris à voir, à regarder l’espace et parcourir le temps. Mais aujourd’hui, cela suffit-il ? Cette création nous identifiera, nous singularisera face à vous, lectrice, lecteur. Elle nous portera.

Dans ce second numéro de « Focales », notre série 2021, nos yeux se dessillent pourtant. Par la bivalence du titre retenu, écrire et produire se donnent à lire comme acte souvent ambigu, tour à tour travail de prélèvement, de classement, de ponction et finalement de choix.

« Nous ne façonnons jamais le monde […]. C’est le monde qui nous façonne » rappelle Toni Morrison (1). Nos yeux d’humains n’ont de cesse de questionner, d’instruire, de trier, de retenir ou pas, de cataloguer, de classer. Dans notre logique même d’assomption, nous élisons ceci, nous éliminons cela. Pouvons-nous y échapper ? Personne ne le sait.

« Les yeux quand ils s’ouvrent découpent dans le réel comme un ordre du visible », disait en son temps le critique d’art Marc Le Bot (2). Il faisait référence aux Romains, lesquels distinguaient entre bien et mal, séparant dextre et sinistre. Mais foin des Anciens !

Dans le passage du champ à son hors-champ, la solitude guette et nous échappe parfois. L’anonyme menace.

À tout moment nous nous exposons à invisibiliser. Des gilets jaunes aux personnes racisées(1), des travailleurs précaires à celles et ceux qui portent la question du genre(3), nos yeux sont parfois bien mal regardants. Nos pensées plient, nos lettres s’italiquent.

Notre difficulté à nommer croît. Notre lexique s’accorde mal aux demandes naissantes de dignité et à leur revendication. Nous ne savons parfois ni nommer, ni reconnaître l’égale dignité.

Aujourd’hui pourtant notre éducation, notre intelligence, notre information, notre capacité à mieux entendre nos émotions nous invitent à porter un regard bien plus acéré sur le monde. Un champ nouveau de perceptions se dégage. Il est porteur d’avenir : sachons nous attacher à l’invisible ; questionnons l’absent. Que l’oubli, la négligence aussi nous soient alerte. Entre bonheur et tristesse, tutoyons l’inapparent. L’indifférence, la négligence alors se mueront en retrouvailles. Nos pensées seront sans bornes.

Ici réunis, nos récits, nos témoignages, les expériences narrées dans Cursives, nos rêves s’inscrivent en faux contre ce constat premier et pessimiste. Modestement en effet nous témoignons de notre capacité à nous fondre dans l’humain. Nous exprimons nos peines. Nous disons nos joies. Nous nous indignons.

Nous nous relions ainsi avec vous lectrice, lecteur. En choisissant d’échapper au dilemme, ensemble et vaille que vaille, nous naviguons entre les mille et une facettes d’un prisme appelé le vivant !

MN

(1) Toni Morrison, Un don et autres ouvrages.
(2) Marc Le Bot, Une blessure au pied d’Œdipe et autres ouvrages.
(3) Judith Butler, Trouble dans le genre et autres ouvrages.

 

SOMMAIRE

POUVOIR DES MOTS
Tili l.s TAUROS
Teresa ASSUDE
Anne-Claude SIMON-THEVAND
Xavier LAINÉ
Paul FENOULT

 

PAS VU
Olivier BLACHE
Noelle de SMET
Chantal BLANC
Antoine DURIN
Marie-Noëlle HOPITAL
Anne-Marie SUIRE
Laure-Anne FILLIAS-BENSUSSAN
Georges XUEREB
Nicole DIGIER
Jean-Jacques MAREDI
Annie CHRISTAU

 

 

CURSIVES

« Grain de sable sous le capot », un entretien avec
Hubert Truxler autour d’une écriture liée au travail en usine.

Lire l’entretien : Cursives 109 Hubert Truxler

 

 

EN SILENCE

Arlette ANAVE
Michèle MONTE
Jeannine ANZIANI
Françoise SALAMAND-PARKER
Marie-Christiane RAYGOT
Chantal ARAKEL
Michel NEUMAYER
Anne BARBUSSE
Agnès PETIT

Illustrations de couverture ((J.Anziani,)
p. 27 – 36 – 51 (Anne-Marie Suire, Michel Neumayer, Anne-Claude Simon-Thevand)