N°101 « 1-0-1 » (Une année particulière vol.3)


CURSIVES

"Faux semblants", un travail photographique dans les parages de l'écrivain argentin Adolfo Bioy Casares. 
Carte blanche à Bernard JOSEPH, photographe autodidacte et auteur animateur d'ateliers.
En téléchargement

 

EDITO

1.0.1

Une année particulière s’achève. Le 100 est derrière nous et nous voilà soudain ballottés entre les espaces et les temps. Entre hier et demain, c’est sur une ligne de crête que nous écrivons.

1.0.1

À l’image même du titre composé de chiffres seulement – 1.0.1 – le passage est incertain. Des points les séparent. Le code est abscons. Il s’étire à l’infini tel un piano sans queue ni tête. Blanches, noires, noires, blanches, la série est peut-être sans fin. Le bonheur de l’invention, de la charge humoristique, du mea culpa seront-ils au rendez-vous quand plus rien ne borde rien ?

1.0.1

Imaginons. Dénombrons. Le « un » ! La barre serait verticale comme un drapeau au fronton des écoles, le toupet vissé sur la rectitude. Avant était limpide, si beau, si doux… proclamerait-il et de suggérer que seul vaudrait de renouer avec les âges d’or. Que rien en elle ne devrait exister hormis les regrets éternels. Qu’à l’instar des fleurs fanées, ceux-ci couvrent enfin le double espace des textes et des cimetières ! Que Le monde d’hier (1) serait le dernier horizon. Écrire, se retirer sur l’Aventin, les bras ballants, et jouir des derniers soubresauts d’un monde crépusculaire ?

1.0.1

Le « zéro » ! Trompeuse affabilité du rond. Si c’est de numération qu’il s’agit, oui, la position est prise. Numérique, l’horizon est là, il est voilé. L’inquiétude est encore bonhomme, mais justifiée. Sous l’apparence de l’ancien, celle des times, new gothic, garamond se glissent les nouveaux films catastrophes, toutes sortes de bandes annonces se répandent sur écrans, tablettes et téléphones où les forêts se consument, les glaciers s’effondrent, les oiseaux se taisent, l’humain se déshumanise.

Feuilletonnée en modernes kevlar, en techno sanguinolentes – est-ce là, la moderne modernité ? -, soir après soir, l’apocalypse est annoncée. C’est la dernière saison, nous annonce la chaine. L’ultime streaming, nous dit le bouquet. Puis viendra l’écran blanc, ou bleu, ou gris. En attendant, n’oubliez pas de payer votre abonnement !

1.0.1

Voulons-nous y croire à ce point ? Y croyons-nous vraiment ? Ne sommes-nous réduits – dernière jouissance – qu’au tranchant de la hache, au paradoxe de la double imposture : la position dépressive, tristesse et perte d’objet d’un côté ; le sentiment de persécution de l’autre, une délectation morose devant la moderne et désormais numérique colapsologie ?

1.0.1

Non, nous n’avons pas oublié que depuis toujours, écrire, c’est lutter avec l’ange. C’est faire naître sous les mots ce qui nous agite et nous envahit parfois. Que rompre d’avec la doxa est la quête. Que les pas de côté, qu’à nos risques et périls, dans le silence des chambres, dans le brouhaha des bistrots, nous tentons, sont tremblement toujours : une intimité exposée, offerte et refusée, le risque assumé, à portée de plume et de crayon.

Non, nous ne sommes pas pris en tenaille. De texte en texte, malgré les apparences parfois, nous ne cédons rien. Si nous osons une fois de plus fictions, poèmes, pense-bête, voire lamentos, s’il arrive même que nous nous délections d’images et de faux semblants, c’est que nous savons que répétition vaut aussi création. « Je suis un homme ; je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger (1). » Je dis, je redis. Écrivant, je répète, je dessine l’objet et, ce faisant, le mets à distance.

Ce que nous produisons et produirons demain encore ? Quelques savoirs sur le monde certes, mais bien plus, une fraternité en écriture où les points ne séparent pas, où mots très simplement font ciment mais ne dressent aucun mur entre passé, présent et futur.

En accepterons-nous ici l’augure au moment où Filigranes passe le cap du « cent » ?

Filigranes (MN)

(1) On pense aux grands romanciers du siècle passé, de Stephan Zweig (« Le monde d’hier ») à Joseph Roth, de Thomas Mann à Marcel Proust.
(2) Térence.

 

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SOMMAIRE

LES TEMPS MODERNES

Didier BAZILE, Les robots
Chantal ARAKEL,  Connectée, déconnectée
Natalia VIKHALEVSKY,  Un rêve
Olivier BLACHE,  Vos papiers
Paul FENOULT,  Si tentant
Chantal BLANC,  Où va l’humain
Jeannine ANZIANI,  Trop galère

 

LA RÈGLE DU JEU

Agnès PETIT, Recréation
Anne-Marie SUIRE, La net attitude
Claude BARRÈRE, Toi
Teresa ASSUDE, Impressions du code

CURSIVES

« Faux semblants », un travail photographique dans les parages de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares. Carte blanche à Bernard JOSEPH, photographe autodidacte et auteur animateur d’ateliers.

En téléchargement

 

ON ACHÈVE BIEN LES ROBOTS

Jean-Jacques MAREDI, Plus belle, ma vie sur FB
Georges XUEREB, 010101010, etc.
Gislaine ARIEY, Et puis quoi encore ?

 

LA GRANDE ÉVASION

Xavier LAINÉ, De l’importance de la marge
Annie CHRISTAU, Désapprendre
Claude OLLIVE, Un chemin particulier
Françoise SALAMAND-PARKER, Sauve qui peut
Arlette ANAVE, Ne vous transformez pas en spam
Michel NEUMAYER, No trespassing
Jean-Charles PAILLET, De jour comme de nuit
Michèle MONTE, Les serveurs

Les illustrations

Couverture, Cursives et pages 16 & 41 –
de ce numéro sont de Bernard JOSEPH